Stéphane Bouthors est directeur de l’école maternelle Fontauris, à Forcalquier, et cosecrétaire départemental du Snuipp (Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC), largement majoritaire dans les Alpes-de-Haute-Provence.

Qu’est-ce qu’on peut retenir de ces trois semaines d’école à distance ?

Stéphane Bouthors : Il faut revenir sur la manière dont ça s’est passé. Au départ, on apprend, le 12 au soir, la fermeture des écoles pour le 16. Alors que le jour même, notre ministre avait dit que ça ne fermerait pas… Notre institution était totalement impréparée. À aucun moment, depuis le 15 janvier, on n’avait envisagé et anticipé cette fermeture.

Pour nous, il fallait mettre tous les élèves en vacances pendant quinze jours, pour que les enseignants aient le temps de réfléchir à ce qu’ils allaient mettre en place au lieu de partir dans l’urgence. C’est ce qu’il s’est passé au Canada. Mais au ministère, ils ont voulu faire du blabla et se prémunir de l’image des enseignants qui ne foutent rien ! En réalité, la plupart des enseignants travaillent comme des dingues en ce moment.

Des outils ont été mis à la disposition des enseignants…

S.B : Tout ce qui nous est proposé par l’institution répond à une pression ministérielle de « faire quelque-chose », mais les exercices en ligne sont souvent inadaptés s’ils ne sont pas accompagnés de mise en scène pédagogique. Pour communiquer avec les élèves, les enseignants sont confrontés à la difficulté technique, à l’obsolescence de leur matériel – car c’est leur matériel personnel qu’ils utilisent.

L’État n’investit pas dans le stockage des données : par exemple, les évaluations des CP-CE1 sont stockées chez Amazon, en Irlande ! https://www.liberation.fr/checknews/2018/09/26/les-evaluations-nationales-des-eleves-sont-elles-stockees-par-amazon_1681152 Et il laisse les enseignants utiliser les outils de Google. Trop de profs ont donné toutes leurs données à des Gafam. https://lagedefaire-lejournal.fr/gare-au-gafa/ Ils ont le contenu des cours, les adresses des parents… Discord et Zoom, par exemple, sont deux plateformes qui ont été beaucoup utilisées au départ. Notre institution nous a demandé de ne plus y recourir il y a quelques jours seulement.

L’un des grands enjeux de cette situation, c’est l’accentuation des inégalités sociales. Comment vous gérez ça dans votre école ?

S.B : Ce qui s’est surtout mis en place, c’est le contact avec les parents. Nous, on accueille aussi des familles qui parlent peu le français. On les appelle. Des tablettes ont été distribuées à certaines familles, grâce aux solidarités locales et à des parents d’élèves notamment.

Pour les enfants de deux ans et demi à six ans, tout passe par la relation à l’adulte. Donc on a choisi de poster des petites vidéos de 30 secondes à 4 ou 5 minutes, tous les jours. On se dit que de nous voir avec des dispositifs, tout un ensemble de règles implicites et explicites, qu’ils reconnaissent parce qu’ils les ont vécus en classe, ça provoquera chez eux autre chose que si on leur donne du papier. Et les retours sont très bons : ils les regardent plusieurs fois, regardent celles des autres classes…

Il y a des élèves qui nous parlent au téléphone, et d’autres qui sont trop impressionnés. On va tenter des visioconférences avec certains. On veut identifier les plus isolés, et c’est là que l’on mettra nos efforts – c’est là que tous les efforts devraient être mis !

Car il y a des inégalités de base et dans cette situation de crise, ceux qui ont un logement, des conditions de vie, une connexion correctes ne vivront pas si mal le confinement. Ceux qui ont les codes les plus proches de ceux de l’école s’en sortiront le mieux.

C’est pour ça qu’après avoir creusé l’idée de créer un blog où les parents pourraient poster des choses, on ne va finalement pas le faire. L’inégalité d’accès et de contenu serait visible au niveau des publications et cela pousserait certains parents à se sentir nuls et à ne plus rien poster !

Pour une partie des parents, l’école à la maison a un avantage : elle permet de découvrir, se rapprocher, parfois s’approprier la façon dont apprennent leurs enfants. Même si ce n’est pas toujours facile…

S.B : Les enfants, quand ils apprennent progressivement à devenir élèves à l’école, posent certains affects pour se rendre disponibles aux apprentissages. Ce n’est pas facile de le faire à la maison. C’est pourquoi, même si ça ne me plaît pas trop, je ne vais pas faire l’économie de petits tutos pour les parents, pour leur donner deux ou trois combines : comment dégager 1h30 dans la journée autour d’activités à l’école ? Comment faire varier les plaisirs ?…

L’institution n’est pas claire sur les objectifs de l’école à distance : faut-il seulement réviser pour maintenir le niveau ? Avancer en abordant de nouvelles notions ? Du coup tous les enseignants ne font pas les mêmes choix…

S.B : Chercher à avancer, c’est ultra élitiste, ça accentue les inégalités sociales. Il faut plutôt se demander, en priorité, qu’est-ce qu’on peut faire pour ne pas laisser un gamin au bord du chemin.

Mais des enseignantes de CP expliquent qu’elles ne peuvent pas faire répéter indéfiniment les mêmes sons aux enfants…

S.B : Apprendre de nouveaux sons, de nouvelles lettres, selon un déroulement que les enfants connaissent, ce n’est pas totalement nouveau et c’est un exercice cérébral qu’il faut maintenir. Par contre, si on commence quelque-chose dont ils n’ont pas l’habitude, on ne pourra pas transmettre à tous les parents, et ça ne se fera pas.

Il faut avoir confiance dans la capacité d’apprentissage de nos élèves. Ils ont une grande plasticité cérébrale. Ce que l’on n’aura pas fait, les collègues en tiendront compte en CP. La plupart des gamins rattraperont le retard. Ce qu’il faut, c’est maintenir le lien et la disponibilité pour l’école.

Propos recueillis par LG

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