ROYA
la vallée rebelle
REPORTAGE
La Roya prend sa source en France et se jette dans la mer en Italie. Dans les villages de montagne qui surplombent la rivière, la notion de frontière n’avait plus vraiment de sens. Lorsque les Africains sont arrivés, certains les ont dénoncés, mais beaucoup les ont aidés.
« A la crête des eaux pendantes »
C’est ainsi que la frontière entre le royaume de France et celui de Savoie, dont dépendait le comté de Nice, fut fixée dans un traité de 1713. Aujourd’hui, la séparation franco-italienne coupe la vallée de la Roya. La rivière prend sa source au col de Tende et coule sur 40 km en territoire français. Ensuite, l'Italie englobe la Roya sur ses 19 derniers km, jusqu’à la mer, à Vintimille. La côte devient française à quelques km vers l’ouest, à Menton.
Sommets abrupts, gorges profondes, routes sinueuses
La Roya n’est pas un espace où l’on circule facilement. Longtemps, ses chemins sont restés à flanc de montagne. Humains et mulets traversaient les villages sans trop se soucier de savoir à qui ils « appartenaient ». Puis des tunnels ont été creusés, des ponts jetés, et, à l’heure des voitures, c’est en suivant la rivière jusqu’au sud que l’on sort le plus simplement de la vallée. Au nord et à l’est, c’est l’Italie. À l’ouest, on peut rejoindre Nice ou, plus loin, la vallée de la Vésubie, par des routes aux lacets si serrés que le conducteur lui-même a parfois la nausée.
" LA MÊME FAÇON DE VIVRE "
Dans les années 80, les habitants de la Roya vivaient la frontière dans toute son absurdité. Gibi, qui tenait un commerce à Saorge, allait faire des courses à Nice en passant par Vintimille. « On passait quatre contrôles à l’aller, et quatre au retour », se souvient-il. Les accords européens de Schengen ont mis fin à ce quotidien ubuesque. Italiens ou français, les villages de montagne se ressemblent. Certains, d’ailleurs, ont changé de nationalité tardivement, comme La Brigue, devenue française en 1947. Les baleti, ces fêtes où l’on danse et chante en occitan, en piémontais ou en calabrais, font partie des occasions de rencontre.
LA FRONTIERE DE LA LANGUE
« On est tous de la vallée, on a la même façon de vivre dans les villages, il n’y a que la langue qui diffère », estime Pascal, un chauffeur de car. La frontière est redevenue concrète lorsque les Africains sont arrivés.
VINTIMILLE
UN CUL DE SAC DEPUIS 2015
Vintimille, petite ville italienne du bas de la vallée, est sur la route de ceux qui remontent l’Italie où ils sont arrivés par la mer. Longtemps, ils n’ont fait que passer. Mais en juin 2015, le rétablissement des contrôles à la frontière franco-italienne a transformé Vintimille en cul-de-sac. Ceux qui arrivent à passer en France sont le plus souvent interceptés et renvoyés en Italie, où leurs empreintes ont été enregistrées.
SOLIDARITE
C’est là que le mouvement de solidarité s’est d’abord organisé. En parallèle à l’action humanitaire de la Croix-Rouge et de Caritas, un free spot (littéralement, « lieu libre ») a été ouvert à une demi-heure à pied de Vintimille. « La philosophie était d’encourager l’autonomie des réfugiés, explique Baptiste, un habitant de la partie française de la Roya. Ils ne leur préparaient pas à manger, mais donnaient du matériel de cuisine et des ingrédients. Ils proposaient des informations, des soins, et organisaient des assemblées. Mais les pressions médiatiques et politiques ont poussé le propriétaire à ne pas renouveler le bail. » Le second lieu, ouvert plus loin, a été démantelé par la police italienne. Des militants ont été condamnés à une interdiction de territoire sur Vintimille et les communes alentour, et la dynamique a été cassée. Un autre mouvement a pris le relais, cette fois du côté français, où les Africains refoulés à Menton ont commencé à affluer.
ROYA CITOYENNE
En mai 2016, l’association Roya Citoyenne, créée à l’origine pour promouvoir une intercommunalité de la Roya, est réactivée. Elle organise des maraudes à Vintimille, où elle distribue près de 5 000 repas par mois. Mais elle cherche surtout à mettre l’État et les collectivités devant leurs responsabilités. Une centaine de demandes de protection de mineurs isolés a ainsi été envoyée à l’Aide sociale à l’enfance des Alpes-Maritimes, qui n’a pas donné suite.
Ces derniers mois, l’association a surtout fait parler d’elle pour les poursuites judiciaires dont certains de ses membres sont l’objet. En théorie, en France, quiconque transporte des personnes en situation irrégulière ou les guide dans un déplacement est passible de poursuites. Les militants qui ne voulaient pas renoncer à la solidarité avec les migrants se sont donc lancés dans la désobéissance. « Mon inaction me rendrait complice », a ainsi expliqué Cédric Herrou le 4 janvier devant le tribunal correctionnel de Nice, qui rendra son jugement le 10 février.
OLIVIERS ET POULAILLERS
À quelques kilomètres de Breil-sur-Roya, la ferme de Cédric se présente en terrasses, comme la plupart des terrains de la vallée. Le jour de notre rendez-vous, le jeudi 19 janvier, il ne répondait pas au téléphone. Et pour cause : il avait été arrêté dans la nuit, hors de son domicile, en compagnie de plusieurs Africains qu’il hébergeait.
Des dizaines d’oliviers, quelques ruches, des poules et des oies qui se promènent partout : cet agriculteur produit des œufs, de l’huile et de la pâte d’olives, qu’il vend en circuit court. Sur une terrasse à mi-hauteur, la cuisine. Un peu plus haut, Cédric a installé des caravanes et de quoi se laver. Moussa, originaire du Tchad, est en train d’allumer un feu pour se réchauffer. À ses côtés, Tom a mis 8 heures pour venir à pied depuis Vintimille. C’est sa troisième tentative pour passer en France : il a d’abord été arrêté en gare de Cannes, puis de Menton. À l’âge de 6 ans, il a quitté l’Érythrée pour l’Éthiopie, avec sa mère. À 11 ans, il est parti au Soudan, puis en Libye où il a travaillé 1 an et pensait rester. « Là-bas, c’était très compliqué. Tu travailles, on ne te paie pas et on te tape. » Il a alors pris la mer pour la Sicile.
Victuailles récupérées
Cédric Herrou est l’un des seuls à revendiquer son action haut et fort, mais de nombreuses autres personnes ont aidé des migrants à se déplacer dans la vallée. Il y a aussi tous ceux qui hébergent, comme Baptiste. Quand il rentre le soir du travail, dans son trois pièces, il retrouve les huit personnes qui dorment chez lui en attendant des jours meilleurs. La mezzanine, le canapé, le sol du salon : l’appartement affiche complet ! Pour nourrir son monde, Baptiste revient les bras chargés de victuailles récupérées grâce à un large réseau de solidarité : le pain d’un boulanger qui donne tous ses invendus, les fruits bradés par un épicier, un agneau offert par un ami berger… Dans une autre maison qui accueille des migrants, c’est un chasseur qui a déposé du gibier.
« Il y a des gens sur qui on a des préjugés, et qui nous étonnent, reconnaît Baptiste. Ils ont parfois des propos racistes, mais quand ils se retrouvent face à des personnes traquées, ils font preuve de solidarité. »
TRADUIRE les cartes
Avec Aziz, l'un de ses "invités", Baptiste a travaillé sur une traduction en Arabe des légendes des cartes de géographie.
UN REPORTAGE
PHOTOS & TEXTE : Lisa Giachino
/ MISE EN PAGE : Lydia Robin
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