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Dans l’État de Chiapas, au Mexique, des communautés construisent un mode de vie autonome basé sur l’agriculture, la solidarité, l’éducation et une organisation collective égalitaire. Pour aller à la rencontre des résistances et semer le virus de la rébellion, 160 zapatistes, dont une majorité de femmes, sont attendu·es en Europe à partir du mois de juillet.
Construire un radeau, et demander aux Européens d’envoyer des cordes jusqu’au Mexique pour leur faire traverser l’Atlantique. Voilà ce que voulaient les zapatistes, avec ce mélange de poésie, d’humour loufoque et de confiance dans la solidarité humaine. Depuis une année et demi, ils ont distillé au reste du monde des textes faussement naïfs appelant à la rencontre des rébellions, et des vidéos où on les voit, sur fond de musique épique, préparer leur expédition en façonnant des embarcations de fortune.
Et ça a marché ! La parabole est en train de se réaliser. En guise de cordes, un voilier piloté par un équipage allemand, sur lequel une première délégation de sept personnes a embarqué début mai à destination de l’Espagne ; ainsi qu’un vaste réseau de collectifs locaux et régionaux, dans toute l’Europe, qui se préparent à recevoir environ 160 compas. L’association Une montagne en haute mer (1) organise une levée de fonds pour financer l’accueil en Europe, et la poursuite du voyage à travers le monde. Le 25 mai, plus de 66 000 euros avaient été collectés, sur un objectif de 105 000 euros.
« Conseils de bon gouvernement »
Le 1er janvier 1994, les zapatistes occupaient cinq villes du Chiapas, au Mexique, et faisaient connaître leurs revendications : travail, terre, logement, alimentation, santé, éducation, indépendance, liberté, démocratie, justice et paix. Fondée en 1983, l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) a négocié avec le gouvernement, de 1994 à 1996, des accords qui reconnaissaient le droit à l’autodétermination des peuples indigènes, mais ne seront jamais respectés par les autorités. Dans un territoire occupé par les militaires et les paramilitaires, l’EZLN et les communautés zapatistes se sont alors engagées dans la construction de leur autonomie. (2)
Les terres récupérées assurent la subsistance des familles et fournissent des ressources pour le développement de l’autonomie collective. Les charges politiques, de justice, de santé et d’éducation ne sont pas rémunérées, mais celles et ceux qui les assument comptent sur la communauté pour couvrir leurs besoins. Les élus des assemblées communautaires (village), communales (de la taille d’un canton français) et de zone (où se coordonnent plusieurs communes) exercent de façon collégiale, pour un mandat de deux ou trois ans non renouvelable, et révocable à tout moment. Des « conseils de bon gouvernement » travaillent à la coexistence entre communautés zapatistes et non zapatistes, gèrent les conflits avec les autorités officielles, et proposent de nouveaux projets utiles à la communauté. Un gros effort est accordé aux écoles, avec environ un enseignant pour dix enfants, mais aussi à la formation des adultes. (3)
« Terre qui ne se résigne pas »
Ils font évoluer l’organisation communautaire maya dans un sens d’émancipation radicale, notamment féministe, et ont apporté un soin tout particulier à la composition de la délégation qui a embarqué sur le voilier : « Quatre sont des femmes, deux sont des hommes et un·e est autre », annonçaient-ils en avril. Et d’ajouter que
Marijosé, c’est son prénom, dira au moment d’accoster : « Je déclare que le nom de cette terre, que ses naturels appellent aujourd’hui “Europe”, s’appellera désormais : Slumil K’ajxemk’op, ce qui signifie “Terre insoumise”, ou “Terre qui ne se résigne pas, qui ne défaille pas”. Et c’est ainsi qu’elle sera connue des habitants et des étrangers tant qu’il y aura ici quelqu’un qui n’abandonnera pas, qui ne se vendra pas et qui ne capitulera pas. » Cette « invasion » inversée, pied de nez à la « soi-disant conquête de ce qui est aujourd’hui le Mexique », il y a 500 ans, ne veut demander aux Espagnols « ni regret ni pardon », mais plutôt leur dire « que nous n’avons pas été conquis ».
Après avoir accueilli au Chiapas des personnes du monde entier, les zapatistes veulent à leur tour parcourir « les soubassements et les recoins du monde ».
Chercher :
Lisa Giachino
1 – Pour participer, taper « la route pour la vie » sur le site www.helloasso.com – ou envoyer un chèque à Une montagne en haute mer, 64 avenue de Lombez, apt 63, 31 300 Toulouse
2 – 25 ans plus tard : le zapatisme poursuit sa lutte, Julia Arnaud, 2019, www.revue-ballast.fr
3 – Zapatiste (Rébellion), encyclopédie anarchiste, Jérôme Baschet, lavoiedujaguar.net
4 – Pour lire les textes et voir les vidéos des zapatistes : enlacezapatista.ezln.org