À Pluherlin, dans le Morbihan, cinq amis ont racheté ensemble une exploitation pour la transformer en ferme collective.
Ce qui leur permet d’être plus sereins financièrement, de vivre et travailler à plusieurs, d’avoir plus de temps et de diversifier leurs productions agroécologiques.
Au loin, on jurerait une ferme bretonne traditionnelle. Un tracteur, des bâches, des silos verticaux, la fosse à lisier. Quelques niches individuelles à veaux. Vides. Au loin, Étienne débarque de la porcherie avec son casque anti-bruit autour du cou. Il retire ses lunettes de protection et frotte la poussière de ses cheveux. Le voilà affairé à créer une ouverture au perfo burineur dans le mur du long bâtiment. Alors qu’elle accueillait plus de 500 cochons élevés sur des caillebotis en béton, la porcherie est aujourd’hui destinée à aménager les futurs bureaux de la ferme collective. « Je trouve ça assez réjouissant de ne pas faire table rase du passé. Avant, il y avait des cochons. Demain, ce sont des humains qui vont travailler dans ce même lieu. L’image est jolie. »
Début avril, cinq copains ont monté dans ce petit coin du Morbihan, la ferme des Folaisons (qui veut dire « folies » en gallo, le patois local). Le lieu leur a été transmis par un couple d’agriculteurs à la retraite qui a élevé des vaches laitières et des porcs pendant plus de 30 ans. Les jeunes paysans ont ensuite diversifié les productions, avec un référent par activité pour se partager la charge mentale. Étienne a ajouté une soixantaine de brebis laitière, Maëla produit du pain, Yohan monte la fromagerie, Camille s’occupe du maraîchage et Manon reprend les vaches. Chacune de ces actions est collective de bout en bout. Ici, on conçoit à plusieurs et on agit à plusieurs.
La sécurité des troupeaux
Les copains se connaissent depuis 10 ans. Leur rencontre remonte à l’époque des bancs de l’école d’agronomie de Montpellier et de l’Institut d’horticulture et de paysage d’Angers. Bien plus tard, après avoir tous·tes bossé de leur côté, ils se sont réunis autour de la table avec l’envie de « faire quelque chose ensemble ». Les amis ont cogité, discuté. Ils ont fait quelques crobards de leur ferme idéale. Et ont décidé de se lancer. En quête d’un coin pour s’installer, ils ont posté plusieurs annonces dans des journaux pour expliquer leur projet. Avec le bouche-à-oreille, la bande a finalement repris une ferme conventionnelle en circuit long qui revend son lait à la géante coopérative laitière Sodiaal. Environ 80 hectares et 50 vaches nourries d’un mélange d’herbe et de maïs ensilage.
La moitié des agriculteurs français vont partir à la retraite dans moins de 10 ans. Face à ce « papy boom », autrement dit le vieillissement de la population agricole, se pose l’épineuse question de la reprise des fermes et des terres agricoles. Selon le ministère de l’agriculture, 100 000 exploitations se sont envolées au cours de ces dix dernières années dans l’Hexagone. Et celles qui restent sont de plus en plus grandes.
Personne ne se bouscule pour reprendre. Avec beaucoup de bâtiments, de terres et d’équipements, racheter une ferme coûte très cher. Ensemble, les copains des Folaisons ont emprunté environ 600 000 euros à la banque pour s’installer et monter leur Gaec (Groupement agricole d’exploitation en commun). « C’est pas comme si je m’endettais tout seul comme le font beaucoup de gens », continue Étienne. À cinq, la facture est clairement moins salée. Pas un des copains n’est du milieu agricole. Ils ont reçu cinq dotations jeunes agriculteurs (DJA) à 24 000 euros – le tarif pour des néo-ruraux qui reprennent une ferme hors cadre familial. Ce qui permet de vivre en attendant les premières récoltes.
Avec la ferme collective, c’est l’assurance de moins travailler, de ne pas se spécialiser dans un seul métier et de vivre et réfléchir à plusieurs.
Vacances, polyvalence et égalité salariale
Lunettes noires épaisses, Yoann, le référent fromage, nous rejoint. En attendant de produire des tommes au lait mélangé de vache et de brebis, du bleu doux, des pâtes molles et des produits frais, lorsque la fromagerie sera construite, il nous emmène à l’atelier pour fabriquer quelques clôtures. « Quand on est à plusieurs, il faut être carré, tout marquer, ranger les outils, sinon tu t’en sors pas. » Dans une prairie derrière la ferme, il déroule une couronne de fil et visse des isolateurs dans des piquets en bois. « Quand on était salariés agricoles, on a été habitués à avoir des week-ends, des vacances. Ça nous plaît plutôt, sourit-il. Et puis, l’idée d’être son propre patron, c’est intéressant. » Les paysans ont des astreintes à deux pendant les week-ends, et font tourner. Ils ont décidé de prendre quatre semaines de vacances par an dès la première année. Et veulent garder du temps pour suivre plusieurs jours de formation.
À l’autre bout de la porcherie, les copains associés veulent construire un magasin en vente directe pour distribuer leur production. Pas très loin, Camille, la maraîchère, a déjà retourné près de 4 000 mètres carrés de terre pour y planter des légumes. L’ancienne fosse à lisier, juste à côté, servira à stocker l’eau pour l’arrosage. Elle veut également monter un tunnel pour pouvoir produire toute l’année. « C’est bien que l’on soit cinq à savoir faire les choses. Si Camille part deux semaines cet été, il faut que l’on puisse gérer l’irrigation sans elle. »
Manon débarque. Elle a besoin d’un coup de main pour bouger les « tatas », les génisses et les vaches taries. Dans le pré, il y en a un qui pousse le troupeau. Une autre qui tient les fils du parc. Un dernier qui récupère les piquets. « Franchement, ça va quand même plus vite à plusieurs », constate-t-elle. Ils ont décidé de garder les Prim’Holstein des anciens éleveurs. Petit à petit, elles vont être croisées avec les races Brune des Alpes et Montbéliarde.
Il est midi passé. On se dépêche de déposer les outils près de l’enclos de Lichen, l’ânesse des Folaisons. Maëla, la référente boulange, est encore au marché de Vannes pour vendre ses premières fournées. « On mange ! », lance Camille, la maraîchère occupée à préparer le repas aujourd’hui. Alors qu’il habitait sur place, le couple de cédants est allé vivre ailleurs. Sa maison permet maintenant de cuisiner et manger tous ensemble. Mais aussi d’organiser le « Brief’Fo » du lundi matin, un temps de réunion collective hebdomadaire pour causer de la vie de la ferme, des projets et des affaires courantes.
Les autres sont là pour te motiver
« Et si collectivement, ça foire, on s’est aménagé des portes de sortie, en conservant notre statut de salarié », ajoutent-ils. Les associés ont rédigé un règlement intérieur du collectif. Tout le monde est payé pareil. Chacun doit aussi pouvoir partir sans mettre en difficulté les autres. Si un copain veut quitter l’aventure, il pourra reprendre les 5 000 euros de capital social qu’il a injectés au départ. « J’aurais trouvé ça inimaginable de faire ça tout seul ou même en couple, confie Yohan, une petite chenille verte qui danse sur son épaule. Quand tu es proche de tes potes, c’est quand même la vie. Je veux pas être naïf en disant ça, bien sûr qu’il y a des hauts et des bas. » Une personne vient d’ailleurs régulièrement à la ferme pour épauler le collectif et lui apporter un regard extérieur. « On nous dit que ça ne doit pas être facile de travailler avec ses amis, qu’il doit y avoir des problèmes d’argent et tout. Mais on n’interroge pas les enfants qui s’installent avec leurs parents. Et puis si parfois tu as un coup de mou, les autres sont là pour te motiver. » C’est l’heure de manger. Chacun empoigne sa fourchette autour de la joyeuse tablée. Ça déconne, ça lit, ça cause politique. Plus on est de paysans, plus on rit.
Clément Villaume