En Provence, dans les Hautes-Alpes ou la Drôme, les opérateurs se ruent sur les opportunités foncières des forêts communales et coupent des milliers d’arbres pour les remplacer par des panneaux photovoltaïques. Il y aurait pourtant de quoi faire avec toutes les zones déjà artificialisées.
C’est dimanche, il pleut, il caille, la tempête approche. Pourtant, ils et elles sont montés saluer la montagne toute pelée. « Le soleil a rendez-vous avec la thune », dit une pancarte. On est en Provence, sur la montagne de Lure, chère à Giono. Le collectif Elzéard-Lure en résistance a choisi son nom en hommage à L’homme qui plantait des arbres (1), ce berger inventé par l’écrivain, qui reboisait les collines en semant inlassablement des glands. Ici, sur 17 hectares, l’entreprise canadienne Boralex a abattu tous les chênes et raclé le sol, malgré le recours juridique déposé par l’association Amilure. La préfecture lui avait accordé une dérogation pour destruction d’espèces protégées. « C’est sinistre », dit une femme en gravissant un sentier qui traverse l’étendue déserte. Accourus au petit matin le premier jour du chantier, en septembre, les gens d’Elzéard et d’Amilure n’ont rien pu empêcher. Sous les yeux des gendarmes, les bûcherons ont joué de la tronçonneuse tout près des militant·es. L’arbre dans lequel avait grimpé une femme, pour tenter de le protéger, a été abattu. Après une chute de 3 mètres, la militante a fini à l’hôpital.
Les arbres mettent longtemps à s’adapter
Ce bout de forêt-là aura du mal à s’en remettre. « La forêt méditerranéenne est sensible. Les arbres mettent très longtemps à pousser, évoluer, surtout sur les versants sud où ils doivent créer des stratégies pour s’adapter », explique le botaniste Aurélien Ferrand. Mais dans une quinzaine d’autres villages de la montagne de Lure, où des projets similaires sont en cours, ce n’est pas encore joué : les arbres sont toujours debout. Alors, on ne se décourage pas et on rit de cette bêtise, de cette énorme absurdité : couper des milliers d’arbres et les remplacer par une forêt de panneaux photovoltaïques, soi-disant parce que la « transition énergétique » l’exige.
En remontant les capuches et en dansant d’un pied sur l’autre, on se presse autour de deux femmes qui ont enfilé costard et cravate pour mieux parodier les PDG et communicants de ces multinationales avides d’hectares ensoleillés. Elles se gargarisent de « générations futures » et de « sauver la planète » : « Grâce à vous, votre soleil deviendra utile ! » À peine caricaturé par les militantes, ce discours enrobe des promesses de rentrées financières pour les communes, et a convaincu bien des maires.
Léo Walter, récent député (LFI) et ancien conseiller municipal dans un village proche, prend le mégaphone. « On assèche les municipalités. Privées de moyens d’actions, elles vont chercher des solutions avec le privé », déplore-t-il. Le lendemain, 5 décembre, commencera à l’Assemblée nationale l’examen du « projet de loi relatif à l’accélération de la production des énergies renouvelables ». Examen en 30 heures, dans le cadre d’une procédure… accélérée. « Ce texte laisse la main au privé, poursuit le député. La proposition est de limiter les études d’impact, avec toujours le même logiciel libéral et autoritaire. » (2)
Un manifeste dans les Alpes du sud
On l’aura compris : « c’est le moment d’ACCÉLÉRER et d’arrêter de faire des chichis, parce que si on veut disposer en 2050 d’une énergie décarbonée, il va bien falloir la produire quelque part. Et en ce qui concerne le solaire, les toitures, c’est bien joli, mais ça ne suffira pas : les panneaux au sol sont beaucoup plus productifs.» Voilà, en substance, ce que nous dit le gouvernement, ainsi que bon nombre d’acteurs des énergies renouvelables et responsables politiques. S’opposer à l’implantation de centrales solaires n’est pas simple, surtout dans un contexte où le prix de l’électricité explose. Les protestataires sont souvent caricaturés, accusés de ne pas vouloir de ça chez eux sans se préoccuper des enjeux énergétiques communs. Pourtant, les collectifs qui cherchent à protéger la forêt ne sont pas contre, mais « pour un autre photovoltaïque ». C’est le titre d’un manifeste signé par une vingtaine d’organisations des Alpes du sud. Ce texte demande que tout soit fait, en premier lieu, pour diminuer notre consommation énergétique.
Ce principe a été acté par la Région Paca (et par d’autres) dans son Sraddet (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires) : « Le photovoltaïque au sol devra être installé en priorité sur du foncier anthropisé. L’un des objectifs phares du Sraddet est la diminution par deux de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers à l’horizon 2030. » Cette règle doit maintenant être traduite par les communautés de communes dans leurs Scot (Schémas de cohérence territoriale), ce qui prend de longs mois de discussions et rédaction.
« C’est le far west dans les Hautes-Alpes »
Pendant ce temps, les opérateurs se ruent vers les zones rurales, car ce sont elles qui offrent les opportunités les plus intéressantes : prix du foncier peu élevé, municipalités en manque d’argent, population peu dense, ce qui est bon pour « l’acceptabilité » des projets. « C’est le Far-West dans les Hautes-Alpes, témoigne Olivier Regord, maire du village du Saix et référent aux énergies renouvelables dans sa communauté de communes. On est dragués par plein d’opérateurs. » (3) Cette course aux hectares est source de tensions locales. Étienne Decle, qui a participé à la rédaction du Manifeste pour un autre photovoltaïque dans les Alpes du Sud, constate que les contrats sont signés avec les maires « dans le plus grand secret », et dévoilés au public « le plus tard possible ». Les demandes d’autorisation sont étudiées par l’État une à une, sans vision globale.
Chargées de donner un avis consultatif sur les projets soumis à étude d’impact, les Missions régionales d’autorité environnementale (MRAE) alertent sur ce manque de coordination et de « planification des énergies renouvelables ». Chaque maire qui décide de déboiser une parcelle communale a peut-être l’impression de ne sacrifier qu’une petite partie de la forêt. Mis bout à bout, les projets aboutissent pourtant à un « mitage insidieux du territoire », dénonce la MRAE d’Auvergne Rhône-Alpes (4). Or, « la fragmentation des milieux est une des causes majeures de baisse de la biodiversité », rappelle-t-elle : espaces clôturés, les parcs photovoltaïques perturbent la circulation des animaux.
Devoir d’inventaire…
Implanter des panneaux photovoltaïques en forêt augmente aussi le risque d’incendie. Au-delà de la zone de production, les opérateurs doivent donc prévoir une bande de défrichement et des citernes. Sans oublier les problèmes de ruissellement des eaux et d’érosion provoqués par le déboisement… Enfin, « la quantité d’énergie produite allant bien au-delà des besoins locaux, ces centrales auraient pour conséquence annexe de nouvelles lignes à haute tension », souligne le Manifeste pour un autre photovoltaïque.
En 2019, une étude de l’Ademe recensait les friches industrielles et commerciales et les parkings propices au photovoltaïque, indiquant que ce gisement correspondait à six fois la puissance déjà installée en photovoltaïque (5). « Localement cela reste à étudier en détail », estime le Manifeste pour un autre photovoltaïque. La Société alpine de protection de la nature (SAPN-FNE 05), dans les Hautes-Alpes, « demande depuis quinze ans, à la préfecture, un inventaire des zones anthropisées ». En vain.
Au-delà des différentes manières possibles de couvrir nos besoins en énergie, Étienne Decle voudrait que l’on réfléchisse autrement. « On devrait cesser de mettre l’homme au centre de tout. Il n’y a pas que nous et nos besoins. Si ça doit détruire la biodiversité, est-ce qu’il ne faut pas d’abord revoir nos besoins ? »
Lisa Giachino
1- L’homme qui plantait des arbres, Jean Giono,1953.
2 – En décembre, lors de l’examen du projet de loi sur les énergies renouvelables en première lecture, un amendement proposé par La France insoumise proposait la suppression de l’article 11 decies, qui valide le soutien public à l’implantation de panneaux photovoltaïques sur les terres paysannes. Il a été rejeté à 3 voix près : 60 pour, 63 contre, et 13 abstentions (dont 6 d’EELV, et 4 des socialistes). Quant aux forêts, elles ne pourront, selon le texte, plus êtres défrichées… sauf sur des surfaces de moins de 25 hectares. La loi doit être définitivement votée le 10 janvier.
3 – Lors du colloque « Quel avenir énergétique dans les Hautes-Alpes », 9 décembre 2022.
4 – Avis sur le projet de centrale photovoltaïque de Grignan, MRAE Auvergne Rhône-Alpes, 2020.
5 – Évaluation du gisement relatif aux zones délaissées et artificialisées propices à l’implantation de centrales photovoltaïques, Ademe, 2019.