« Allez, on fait un dossier sur la lumière ! »… et d’abord, qu’est-ce que c’est, la lumière ? Pour répondre à cette question épineuse, on a confié la plume à Jean-Marie Vigoureux, fidèle lecteur, par ailleurs professeur de physique émérite à l’université de Bourgogne Franche-Comté et auteur de livres de vulgarisation scientifique.
« Que la lumière soit » : dans la Bible, la lumière apparaît avant toute chose, avant les astres, avant les plantes et les animaux. C’est dire l’importance que nos lointains ancêtres y accordaient. Aujourd’hui encore, notre vocabulaire nous le rappelle : une bonne idée est « lumineuse », et si on m’explique bien, je « vois » ce qu’on veut dire.
Mais qu’est-ce que cette lumière qui nous permet de nous émerveiller devant le monde ? On l’a comparée à une onde qui se propage à la surface de l’eau. Pour la théorie quantique, elle serait composée de particules, mais des particules dont le comportement ne pourrait être compris qu’avec des équations utilisées pour… les ondes. Ainsi, bien des questions restent posées sur ce qu’est la lumière.
Deux appareils photos au dessus du nez
La lumière nous apporte des informations venues de l’univers entier (voir la bulle en p.9).Le mécanisme qui nous permet de voir est lui aussi merveilleux. Ce qui se passe en nous pour recueillir ces informations, les transformer en signaux électriques, transmettre ces signaux à notre cerveau…
L’œil est construit comme un appareil photo : une lentille – le cristallin – permet de projeter l’image du paysage sur un écran appelé rétine. Cet écran, très fragile et que nous devons impérativement protéger des rayonnements ultraviolets du soleil, est constitué de très nombreux « pixels » portés à l’extrémité de cellules appelées cônes et bâtonnets. Les cônes sont capables de distinguer les couleurs alors que les bâtonnets, qui nous sont particulièrement utiles la nuit, ne nous transmettent que des images en noir et blanc. C’est la raison pour laquelle « la nuit, tous les chats sont gris ».
L’œil humain est sensible aux couleurs de l’arc en ciel, mais l’univers est empli d’autres « couleurs » que nous ne voyons pas. L’abeille voit le jaune et le bleu qui sont les couleurs d’une majorité de fleurs sauvages, mais elle voit aussi quelques rayonnements ultraviolets : le cœur des fleurs est illuminé d’ultraviolets qui les guident vers le nectar. Les rapaces, eux, voient aussi dans l’infrarouge ce qui leur permet de repérer les courants d’air ascendants et de s’élever sans fatigue, comme dans un ascenseur. Toutes ces « couleurs » m’échappent et le papillon de nuit, tout gris à mes yeux, ne m’apparaîtra jamais dans sa beauté infrarouge qu’admirent pourtant ses congénères. Les mondes de l’abeille, du rapace ou du papillon nous sont impénétrables.
Si les rapaces lisaientL’âge de faire…
Notre œil est muni d’une ouverture, la pupille, adaptée à chaque mode de vie. De façon générale, une pupille formée d’une fente verticale très fine favorise l’observation des objets horizontaux alors qu’une pupille horizontale favorise celle des objets verticaux. Les herbivores ont ainsi une pupille horizontale qui leur permet de mieux repérer les herbes dont ils se nourrissent et qui peuvent être rares à la mauvaise saison. D’autres animaux, qui préfèrent fixer leurs proies, effacent au contraire les herbes à l’aide d’une pupille verticale qui leur permet de mieux voir les petites bêtes dont la silhouette est essentiellement horizontale… L’être humain a une pupille circulaire, moins spécialisée, qui lui permet de voir nettement toutes les directions.
La position des yeux a son importance : deux yeux placés de part et d’autre du crâne, comme ceux des chèvres, lapins, chevaux… permettent de surveiller simultanément tout l’environnement et donc prévenir l’arrivée d’ennemis. Les prédateurs (chiens, chats, renards, tigres…), ont les yeux sur le devant de la tête. C’est le cas de l’être humain qui est ainsi classable parmi les prédateurs… mais cette position des yeux lui permet aussi d’évaluer les distances et le relief avec précision.
Avec 200 000 récepteurs par mm2 répartis au centre de la rétine, notre œil peut théoriquement distinguer deux objets séparés de 10 cm placés à 350 m. Quand cela nous est possible, on obtient en vision la note de 10/10 soit encore de « 10 dixièmes ». Distinguer 10 cm à 520 m mérite la note de 15/10 mais nous sommes battus sur ce plan par les oiseaux dont la survie dépend de leur bonne vue : le moineau distingue une miette de pain du haut de son arbre ! Un rapace peut voir une souris à plus de 1 km et pourrait lire un journal comme L’âge de faire à plus de 50 mètres !
La couleur existe… dans nos têtes !
Le plus extraordinaire est de réaliser que les couleurs n’existent pas dans la nature. Et c’est là un grand mystère qui peut faire rêver. Dans l’univers en effet, tout est ondes ou corpuscules. Or les ondes et les corpuscules n’ont pas de couleur. Alors d’où vient la couleur ? De notre cerveau. Son rôle le plus surprenant est en effet de traduire le monde en couleurs. Il nous aide ainsi à percevoir la beauté du monde. Lorsque mon pull-over est éclairé, il renvoie des ondes électromagnétiques, mais il n’a pas de couleur s’il n’y a personne, avec des yeux et un cerveau, pour les traduire en couleurs. Mystère de la transformation d’une onde en couleur ! Mystère de la beauté perçue. Mystère de cet univers dans lequel nous vivons !
Jean-Marie Vigoureux