L’analyse du bilan carbone de la voiture électrique s’affine, et pas à son avantage. L’ingénieur Laurent Castaignède explique que son développement tous azimuts aurait pour principal résultat d’accélérer la catastrophe écologique.
Écoutez cet article, lu par Benjamin Huet :
L’actuelle ruée vers la voiture électrique relève-t-elle du miracle ou du désastre ? C’est, dans un nouvel essai, la question à laquelle tente de répondre l’ingénieur Laurent Castaignède, déjà auteur de plusieurs livres sur la question automobile. À vrai dire, et ça ne surprendra pas les lecteurs et lectrices de L’âge de faire, ce spécialiste du secteur décrit plutôt un désastre à venir. Mais, les années passant, les analyses s’affinent. Ce livre apporte de nouveaux éclairages, essentiels, sur les conséquences écologiques du véhicule et de son fonctionnement.
Nous laisserons de côté, dans cet article, les pollutions liées à la construction des véhicules. Signalons tout de même que celles liées à la fabrication d’une voiture électrique, et notamment de sa batterie, sont largement supérieures à celles d’une automobile thermique. Par ailleurs, ces constructions à la chaîne poseront très rapidement de fortes tensions sur l’approvisionnement en matières premières. Mais passons sur ces remarques préliminaires – qui pourraient pourtant discréditer à elles seules l’idée de renouveler entièrement le parc automobile mondial pour le faire passer à l’électrique – et intéressons-nous à leur seul fonctionnement.
Pour cela, rappelons comment le mythe d’une voiture électrique « propre » a pu se répandre : il a d’abord reposé sur le fait que, contrairement à sa cousine thermique, elle ne rejette pas de CO2 par le pot d’échappement en roulant – d’ailleurs, en toute logique, elle ne possède pas de pot d’échappement… Évidemment, cette communication passait sous silence les émissions de gaz à effets de serre liées à la production d’électricité. Or, quelle est, à ce jour, la principale source d’électricité dans le monde ? Le charbon ! Même en se concentrant uniquement sur leur fonctionnement, une électrique, dès lors qu’elle est alimentée au charbon, devient plus polluante qu’une thermique.
Laurent Castaignède en fait la démonstration dans une note de bas de page. Avis aux amateurs qui souhaiteraient vérifier l’exactitude des calculs : « En termes d’émissions de gaz à effet de serre, un rapide calcul en ordre de grandeur montre qu’une voiture électrique consommant 0,15 à 0,2 kWh/km alimentée par un surcroît de production d’une centrale au charbon émettant a minima 1 kgCO2e/kWh entraîne autant d’émissions de CO2 qu’une version essence consommant 6 à 7,5 litres aux 100 km d’un carburant dont l’extraction, le raffinage, l’acheminement et la combustion génèrent environ 2,7 kgCO2e par litre. »
UNE ÉLECTRICITÉ DÉCARBONÉE ?
Mais malheureusement, les lobbies s’adaptent… La nouvelle phase de leur propagande repose donc sur l’énergie nucléaire. En substance : en France, nous pouvons développer des voitures électriques, qui seront effectivement propres car notre électricité est largement décarbonée grâce à nos centrales nucléaires. Ce discours met sous le tapis tous les inconvénients, risques et pollutions de l’atome, mais passons. Laurent Castaignède va montrer le mensonge qui se cache derrière cette analyse simpliste en faisant un petit détour par la Chine. Le pays n’est pas choisi par hasard : il accueille actuellement la moitié du parc mondial de voitures électriques et est dans le même temps celui qui a le plus investi dans les énergies renouvelables et le nucléaire. « Mais, sa consommation globale d’électricité poursuivant sa forte augmentation, le pays continue quand même chaque année de s’équiper de nouvelles centrales électriques au charbon ! », signale l’auteur.
Et de préciser que le déploiement de la voiture électrique est « surtout motivé par la réduction des émissions directes de polluants dans les zones urbaines de circulation intense, mais aussi par une certaine soif de domination industrielle mondiale sur un secteur porteur, l’automobile, dont elle avait été longtemps exclue. Il est donc légitime d’en conclure que le surplus de consommation d’énergie du récent parc chinois de voitures électriques correspond, en premier ordre de grandeur, exclusivement à de l’électricité au charbon qu’il stimule directement. »
Ce raisonnement mène tout droit à la conclusion suivante : en Chine, la voiture électrique présente l’avantage de disperser la pollution liée à l’automobile, actuellement fortement concentrée dans les grandes métropoles. Mais d’un point de vue global, le développement de ces véhicules ne fera qu’accélérer la catastrophe écologique ! L’auteur parle ainsi d’un « electric gate » à venir.
ÉLECTRICITÉ MARGINALE…
Et en France ? Idem, ou presque. En effet, l’industrie (et le gouvernement avec, l’une allant rarement sans l’autre…) a pris la fâcheuse habitude de prendre en compte le mix électrique global pour calculer l’empreinte carbone des nouveaux usages. Une méthode pourtant décriée par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie (Ademe), qui explique : « La substitution éventuelle d’une énergie fossile par de l’électricité dans le cadre d’un plan d’action qui fait suite à un Bilan Carbone doit s’accompagner d’une réflexion soigneuse sur les hypothèses légitimes qui peuvent être faites quant à la provenance de l’électricité qui sera demandée en plus grande quantité. Aucune baisse globale des émissions de CO2 ne pourra être invoquée sans cette précaution. » L’exemple le plus frappant, pour comprendre le concept, est donné par le radiateur électrique. Au prétexte d’une électricité prétendument décarbonée, le gouvernement a trouvé malin d’encourager, en 2020, au nom de l’écologie, l’installation de radiateurs électriques. Ces radiateurs, bien entendu, fonctionnent surtout l’hiver. Or, les marges d’électricité « bas carbone » sont déjà faibles en été, mais le sont encore plus en hiver – période durant laquelle elles sont généralement inexistantes.
L’utilisation de radiateurs électriques nécessite donc d’activer des centrales thermiques, et même souvent d’importer d’Allemagne de l’électricité issue… du charbon !
Le problème est sensiblement le même avec les voitures électriques. Il faudrait, selon l’Ademe, utiliser les valeurs d’émissions de CO2 du kWh « marginal » pour réaliser les bilans de nouveaux usages. Autrement dit, savoir d’où proviendra l’électricité qui satisfera la nouvelle demande. Sera-t-elle le fruit du mix électrique « classique », essentiellement composé de nucléaire, de renouvelable et d’hydroélectricité ? Il y a peu de chance, selon RTE, le gestionnaire du réseau. Ce dernier estime que « la “marginalité renouvelable ou nucléaire”, c’est-à-dire la disponibilité pour les installations électriques renouvelables ou les réacteurs existants à satisfaire une nouvelle demande “bas carbone”, est actuellement seulement d’environ 30 % du temps sur l’année. Cette proportion, relativement faible, devrait même prochainement baisser vers 10 à 20 % du temps ». Pour le reste, « l’électricité supplémentaire est toujours composée d’une bonne part de suractivation de centrales thermiques au gaz et au charbon (domestiques ou via l’importation d’électricité) », souligne Laurent Castaignède.
Pour l’heure, la voiture électrique roulant en France serait donc plutôt une « voiture à gaz », voire une « voiture à charbon ». En attendant que, peut-être, si le plan de re-nucléarisation souhaité par l’État fonctionne – ce qui se traduirait par la mise en service d’un nouveau réacteur au plus tôt en 2035 – elle devienne une voiture nucléaire. C’est du propre !
Nicolas Bérard