Des forgerons d’Afrique de l’Ouest perpétuent leur art en battant l’enclume au sein d’un quartier populaire de Montreuil, en Seine-Saint-Denis.
Vingt minutes de marche sont nécessaires depuis le métro pour rejoindre la Noue, à Montreuil. Au détour des blocs, dans ce quartier classé d’intérêt national par l’Anru1, entre les dépôts sauvages de poubelle et les arbres, une petite galerie marchande doit être détruite d’ici quelques mois. à mon arrivée ce lundi matin, un seul commerce est ouvert. Dans la vitrine, des outils et quelques colliers sont disposés sur des étagères. La devanture ne paye pas de mine, un sigle est inscrit en gros_: FFAM. Personne ne soupçonnerait que le lieu fait office de forge. Pourtant, dans le fond de cette simple boutique, des artisans africains fondent argent, cuivre et or pour concevoir des bijoux.
La fédération des forgerons artisans de Montreuil a été créée en 2014 pour perpétuer cet art. « Avant, on forgeait dans des foyers de travailleurs immigrés à Montreuil comme Bara, Rochebrune, Branly, mais c’était interdit car c’était une forme d’économie souterraine », indique Mahmadou Kanté, président de l’association. La boutique est ouverte du lundi au samedi, normalement de 10 heures à 19 heures. Cependant, pour s’assurer de la présence d’un artisan il est préférable d’appeler au préalable. « Les gens sont salariés dans des entreprises et viennent forger pendant deux, trois heures. Tout le monde est bénévole ici », déclare Mahmadou, qui gagne sa vie en tant que gardien d’immeuble. Les artisans sont donc des passionnés. « C’est un savoir-faire en voie de disparition, cela fait partie de nos traditions », explique-t-il.
Des traces attestées dès le VII ème siècle
Les gens ne deviennent pas forgerons grâce à la fédération, c’est plutôt un lieu de rassemblement, de discussion sur leurs pratiques. « C’est de père en fils, je suis né forgeron. Mon père, mon grand-père et mon arrière-grand-père l’étaient », s’exclame Mahmadou. Les historiens ont retrouvé la trace des premiers forgerons africains avant l’empire du Mali, chez les Dogons. « à partir du septième siècle de notre ère, il y a une trace de transformation du fer. Après, on a la trace d’objets en fer dans des tombes avant le premier millénaire mais on ne sait pas s’ils ont été fabriqués sur place », informe Caroline Robion-Brunner, archéologue, spécialiste en paléométallurgie, sur les ondes de RFI. « C’était utilisé pour faire des outils de travail agricole et aussi des haches, des épées », affirme le président de l’asso. Cette tradition, encore très présente au Mali, est répandue dans plusieurs pays d’Afrique. Montreuil est connue pour abriter une importante communauté malienne (lire encadré). Au sein de la fédération, il y a aussi des Ivoiriens et des Sénégalais, comme Bafodé, qui continue de pratiquer « pour que ça ne disparaisse pas ».
La plupart des bijoux sont réalisés sur commande. « Ici c’est fait sur-mesure. Si vous ramenez la matière, ça sera moins cher, détaille Mahmadou. Nous faisons bracelets, colliers, bagues, fabrication et lavage de bijoux. » Au sein de l’atelier, un coin feu et une souffleuse permettent de faire fondre les métaux. L’enclume sert à modeler la matière. La machine à polir la fait briller.
Un prolongement de la main
De son côté, Souleymane fabrique un collier. Il alterne les phases de frappe et de chauffe de l’argent, tape et retape le métal. Lors d’une pause, il montre quelques créations : « Certaines [bagues] prennent trente minutes à faire, d’autres sont beaucoup plus longues. Il y a beaucoup de modèles différents. » Le forgeron utilise une sorte de petite baguette affûtée pour creuser la matière et dessiner des motifs. Même si le style est similaire, chacun a sa signature et réalise des pièces uniques. Au début, la clientèle était surtout issue des communautés africaines mais depuis qu’une boutique s’est ouverte, elle s’est diversifiée. Mahmadou raconte qu’ils ont même déjà réalisé des pièces en or massif pour un mariage.
Au milieu de la pièce, une machine attire l’attention. « C’est un laminoir, il coupe et fait des petites bulles. De nos jours, il existe des machines électriques », exprime le bijoutier. Cet instrument est utilisé pour faire les traditionnels bracelets « grains de café » d’Afrique de l’Ouest.
La transmission de cette discipline n’est pas anodine. Elle est indispensable à la vie du village au sein des cultures de la région du Sahel. « Un village sans forgeron n’est pas un village », dit en riant Mahmadou. L’artisan forgeron est vu comme un conseiller, un médiateur. De plus, la transformation de matière amène un côté spirituel, et certaines personnes considèrent les forgerons comme des sorciers – ils sont respectés et reçoivent souvent des cadeaux. Encore aujourd’hui, la ville de Montreuil demande conseil à Mahmadou Kanté quand il y a un conflit au sein de la communauté malienne. Les familles forgeronnes ont des patronymes spécifiques. Mahmadou explique qu’il en existe 144 connus autour du Mali. Pour perpétuer cet héritage, les hommes doivent donc se marier avec des « femmes forgeronnes ». Artisanes, elles travaillent la terre, la cuisent, pour fabriquer divers objets. « Ce n’était pas de la discrimination mais pour perpétuer les traditions. La génération d’aujourd’hui ne fonctionne plus comme ça », termine Mahmadou.
Texte et photos : Virgile Revelle
1- Agence nationale pour la rénovation urbaine.









