Les défenseurs de l’atome s’appuient désormais sur l’argument écologique pour sauver la filière : selon eux, le nucléaire, qui n’émet pas de gaz à effet de serre, serait indispensable pour sauver le climat.
Le nucléaire pour sauver la planète. C’est l’argument phare de la filière pour se relancer. Et certains atouts mis en avant peuvent difficilement être niés : une centrale n’émet quasiment pas de CO2. Contrairement au photovoltaïque, elle consomme peu d’espace au regard de sa production d’énergie. Elle est, finalement, relativement sûre : ramenés aux décennies d’activité et au nombre de réacteurs en fonctionnement, les accidents sont assez rares. Quant aux déchets, au moins peut-on tenter de les confiner, ce qui n’est pas le cas de ceux des centrales à charbon, le CO2 s’échappant dans l’atmosphère. Le maintien, voire le développement du nucléaire, serait donc le meilleur moyen de produire de l’électricité tout en limitant le dérèglement climatique.
Figure très en vue de cette galaxie « nucléaro-écolo », Jean-Marc Jancovici est polytechnicien et enseignant à l’école des Mines – haut lieu de la nucléocratie. Il se présente pourtant comme « ni pro, ni anti » nucléaire. « Personnellement, je ne suis ni d’accord avec les pro-nucléaire qui y voient un moyen de parer à toute pénurie, ni avec les anti-nucléaire qui exagèrent ses inconvénients techniques et sanitaires », expliquait-il encore le 23 novembre 2018 sur LCI (1). Son cursus, ainsi que les écrits du think tank qu’il a créé (le Shift Project) en font pourtant un fervent défenseur de l’atome, comme le montre d’ailleurs la suite de son intervention :
« Le nucléaire sert aujourd’hui à concurrencer le charbon. Or, plus longtemps on recourt au charbon dans l’électricité, plus vite on détruit le système climatique, qui a permis le développement de la civilisation. C’est donc au nom d’un arbitrage entre les risques que je souhaite avoir davantage recours au nucléaire dans les pays qui connaissent déjà cette technologie. »
Couvrir l’Europe de panneaux photovoltaïques ?
« Il est celui qui a compris le premier que le changement climatique était la dernière chance du nucléaire, estime Marc Jedliczka, l’un des porte-parole de l’association négaWatt. Il est assez crédible lorsqu’il parle de maîtrise de l’énergie mais devient complètement irrationnel lorsqu’il aborde les énergies renouvelables. » Le 16 mars 2011, quelques jours après la catastrophe de Fukushima, il était par exemple invité au JT de France 2 en tant qu’ « expert neutre » sur la question nucléaire (2). Il a ainsi pu expliquer que nous ne pouvions pas nous passer de nucléaire, sauf si nous décidions de recouvrir un territoire grand comme l’Europe de panneaux photovoltaïques…
« Une simple règle de 3 montre qu’il faisait ainsi a minima une erreur d’un facteur 1000, observe Marc Jedliczka. Et c’est sans compter que personne n’a jamais envisagé que le solaire produise 100% de l’électricité. De plus, son calcul ne prend en compte aucune mesure d’économie d’énergie, dont il se dit par ailleurs partisan… »
Reste que son discours rencontre un vrai succès. Jean-Marc Jancovici est une star des réseaux sociaux (plus de 60 000 personnes le suivent sur Facebook) et un bon client des plateaux TV. Surtout, il s’inscrit dans un paysage plus large dans lequel on trouve de plus en plus d’associations aux noms sympathiques, tel que « Sauvons le climat » – dont il est d’ailleurs membre du conseil scientifique. Cette association annonce vouloir « humblement […] apporter une contribution positive, scientifique, cartésienne au débat » sur le changement climatique. Elle a essentiellement été créée par des retraités d’EDF, du CEA (Commissariat à l’énergie atomique) et du géant du nucléaire Areva (renommé Orano). Sans surprise, l’essentiel de son activité consiste à défendre l’atome, au nom du climat.
Incompatible avec le dérèglement climatique
Même si la caractéristique décarbonée du nucléaire est importante, Charlotte Mijeon, du Réseau Sortir du nucléaire, rappelle que « pour représenter une solution face au changement climatique, il ne suffit pas qu’une option soit bas carbone : il faut des options qui permettent de réduire les émissions dans un délai qui soit le plus réduit possible, et à un coût qui soit le moins prohibitif possible ». L’exemple de Flamanville pourrait ainsi suffire à écarter la solution nucléaire (lire p. 8 de L’Âge de faire n°152, Le nucléaire, un confetti de l’empire ?). Mais il faudra aussi compter sur des options compatibles avec le dérèglement climatique déjà en cours. Fukushima a certes été provoqué par un tsunami, mais nous savons déjà que les ouragans et autres phénomènes climatiques extrêmes vont se multiplier. « Les effets du changement climatique vont s’additionner aux contraintes et aux pollutions liées au nucléaire, indique ainsi Charlotte Mijeon. Un exemple : on sait que d’ici le milieu du siècle, le débit des cours d’eau va baisser de 10 à 40 % (3), ce qui pourrait compromettre la capacité à refroidir les réacteurs installés à proximité des cours d’eau, ou en tout cas à les refroidir sans trop porter atteinte au milieu. » Problème inverse, celui de la montée des eaux, qui pourraient noyer certaines centrales. Conclusion de Charlotte Mijeon : « Mettre des centrales sur des cours d’eau déjà très sollicités, c’est une aberration, et les mettre en bord de mer, c’est une aberration aussi ! »
Nicolas Bérard
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1 – « Effondrement, nucléaire et capitalisme : entretien avec Jean-Marc Jancovici et Yves Cochet », www.lci.fr.
2 – « France2 présente un pro-nucléaire comme un expert neutre », Arrêt sur image, 17 mars 2011.
3 – Selon le rapport Explore 2070, du ministère de la Transition écologique.
Numéro 152 – Juin 2020
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Dangereux, générateur de déchets radioactifs, ruineux, dépassé par les renouvelables… Le nucléaire est à bout de souffle, même en France, pays le plus nucléarisé du monde. Le gouvernement cherche pourtant à le relancer, vaille que vaille. Quant à la filière, elle met en avant de nouveaux arguments pour se vendre, notamment celui… de la sauvegarde de la planète : il s’agit d’une énergie décarbonée, qui ne dérègle donc pas le climat. Alors, le nucléaire est-il en train de renaître de ses cendres ? Ou assiste-t-on au chant du cygne ?