Les systèmes d’éclairage connectés sont beaucoup moins « intelligents » que ne le prétendent leurs concepteurs.
Dès lors qu’on commence à parler de « lampadaire intelligent », il convient sans doute de faire une pause, de respirer profondément et de réfléchir un instant… L’expression est certes utilisée sans vergogne par les nouveaux maîtres de l’éclairage public. Mais de
quoi parlent-ils ?
L’entreprise TVlight, un des cadors du secteur, nous en dit un peu plus : « Un lampadaire intelligent régule automatiquement l’intensité lumineuse du lampadaire connecté en fonction d’un algorithme intelligent et des entrées de capteurs externes. » Mais encore ? Dans les « villes intelligentes », ils permettent de mettre en place un « éclairage public intelligent », sachant qu’en cas de problème, le gestionnaire du réseau sera immédiatement prévenu par une « alarme intelligente » et pourra agir sur chaque lampadaire grâce à des « contrôleurs intelligents »… Il n’est ici pas question de contrôleurs humains, vous l’aurez bien compris.
Voyons ce que ça peut donner, avec cette étude de cas rapportée par La Feuille, bulletin d’info installé dans le Pays Basque, à Tardets. La commune d’Urrugne (64) a installé sur 1.200 points d’éclairage public un système « intelligent », intitulé « j’allume ma rue ». L’idée est séduisante : elle consiste, essentiellement, à n’allumer une rue que lorsqu’il y en a besoin. En gros, les lampadaires restent éteints. Mais si Pierre, Paulin ou Jacqueline veulent faire un petit tour de quartier, il leur suffit d’utiliser l’application « j’allume ma rue » pour se signaler. Et là, comme par magie, les lampadaires s’allumeront uniquement à leur passage – à condition d’avoir leur téléphone « intelligent » dans la poche pour pouvoir être géolocalisés tout au long de leur escapade nocturne. Ce système permettrait, selon Photon Group, la boîte qui le commercialise, de faire baisser de « 50 % ou plus » la facture énergétique de l’éclairage public. Et on veut bien les croire.
LES NON-SMARTPHONISÉS DANS LE NOIR ?
Mais ce calcul est fait au pied du lampadaire. Si nous parlons de bilan énergétique global, ne faudrait-il pas, comme le fait remarquer La Feuille, y intégrer « le coût de fabrication des smartphones, des antennes relais, des ordinateurs faisant tourner le logiciel, des datacenters et leurs refroidisseurs*, (…) des armoires de matériel électronique nécessaire au fonctionnement de cette usine à gaz » ? Ne pourrait-on pas envisager des systèmes beaucoup plus sobres, tels que des interrupteurs et des minuteries, afin de pouvoir allumer les rues à notre passage, comme nous allumerions une cage d’escaliers ?
Et puis, il y a cet autre problème : les personnes non-smartphonisées ne peuvent pas bénéficier du système. Les hordes de desmartphonisés, qui iront grandissantes au fil des ans (si !, si !), seront-elles privées d’éclairage public ? Ce type d’éclairage est-il finalement plus discriminant qu’intelligent ?
En fait, pour mieux analyser la situation, il faut redonner leur sens aux mots. Le terme « intelligent » n’a rien à faire ici, puisque, comme trop souvent, il se substitue sournoisement à l’adjectif « connecté ». Rien de plus, rien de moins. Qu’on se le dise : un lampadaire connecté est un crétin.
Nicolas Bérard