Alors que le système de santé français est à l’agonie, le gouvernement promet de redresser la barre grâce aux outils numériques. Une docteuresse observe pourtant que, dans les faits, la numérisation accentue les problèmes.
Laure Chauffrey, infectiologue, se décrit comme « ni technophile, ni technophobe ». Mais elle « constate au quotidien que l’explosion des usages numériques à l’hôpital a profondément détérioré la qualité des soins ». Dans l’ouvrage collectif Humanité et numérique*, elle apporte un témoignage très éclairant, vécu de l’intérieur, sur les conséquences de ces technologies imposées dans le système de santé. On comprend alors que, pour que les pixels soient bien agencés sur les écrans d’ordinateurs, le personnel soignant doit consacrer de plus en plus de temps à la machine – et donc de moins en moins aux patient·es.
Exemple typique : l’administration d’un cachet. Tout personnel soignant est apte à réaliser cette tâche. Mais les managers de l’hôpital et dans les ministères veulent pouvoir tout surveiller et tout transformer en statistiques. Il faut donc laisser une trace numérique pour être bien certain que monsieur Dupont a bien avalé sa petite pilule bleue. Pourtant, explique Laure Chauffrey, « le numérique est fréquemment une fausse assurance qualité » et le fait que le médicament soit tracé comme « administré » n’empêche pas qu’il puisse être retrouvé sous le lit du patient. Au contraire, même, puisqu’il est demandé « à l’infirmière de tracer informatiquement chaque comprimé plutôt que de prendre le temps d’assister le malade lors de la prise ».
Erreur de clic…
Dans la même veine, elle constate des erreurs directement imputables à la numérisation du système, telles que le médicament « prescrit six fois par jour au lieu de toutes les six heures à cause d’une erreur de clic sur un menu défilant, ou la case “allergie” qui par expérience n’est pas fiable, et qui ne remplacera jamais l’interrogatoire du malade et de ses proches ».
Que dire des procédures encadrant les demandes de transfert de patient·es en maison de retraite ou en « soins de suite et de réadaptation » (SRR) ? Il faut pour cela utiliser le logiciel Trajectoire. « Le temps nécessaire pour remplir une seule demande est au minimum de 20-30 minutes. Nous devons utiliser ce logiciel même pour transférer un patient dans le SRR de notre propre hôpital alors qu’un appel téléphonique au médecin du SRR prend 5 minutes et présente la situation clinique beaucoup plus clairement. » Ainsi, témoigne cette infectiologue, « si la plupart des acteurs de la e-santé promettent que les technologies numériques devraient décharger les professionnels de certaines tâches administratives et leur permettre de se concentrer sur leur cœur de métier, c’est tout l’inverse que j’observe dans mon expérience hospitalière ».
NB
* Humanité de numérique, les liaisons dangereuses, coordonné par le Dr Servane Mouton, éd. Les panseurs sociaux, 333 p., 25 €.