La voiture électrique est vendue comme LA solution pour faire baisser la pollution liée à la bagnole individuelle. Présentée comme « propre », elle est surtout un leurre écologique permettant de ne pas s’attaquer aux problèmes de fond.
C’est le grand projet du gouvernement et de l’Union européenne : interdire d’ici 2035 la vente de voitures à moteur essence ou diesel pour atteindre le plus rapidement possible un parc de véhicules 100 % électriques. Compte-tenu de l’urgence environnementale, une certaine radicalité semble indispensable. Reste à savoir si cette petite révolution est réellement destinée à servir la cause de l’écologie.
Notons d’abord qu’il y a assurément quelque chose de loufoque dans l’énoncé du projet censé représenter la « transition écologique » : renouveler l’ensemble du parc automobile. À l’échelle européenne, très concrètement, cela implique d’envoyer trois cents millions de bagnoles à la casse pour en reconstruire autant. Un programme qui aura du mal à s’accoler le terme de « sobriété », d’autant que la construction d’une voiture électrique est à la fois particulièrement énergivore et gourmande en matières premières. Ses batteries réclament notamment des matériaux tels que le cobalt ou le lithium dont l’extraction et l’exploitation posent de sérieux problèmes sociaux et environnementaux.
Les trois quarts du cobalt proviennent des mines de la République démocratique du Congo, où les « creuseurs », parfois des enfants, travaillent dans des conditions proches de l’esclavage. Se pose également la question des quantités disponibles pour répondre à un tel programme d’électrification des mobilités. Du lithium, par exemple, il n’y en tout simplement pas assez sur la planète pour équiper un parc de plusieurs centaines de millions de véhicules, prévient l’ingénieur Philippe Bihouix*. Selon des analyses de la banque UBS, le passage au tout-voiture électrique exigerait une hausse de 1 928 % de la production mondiale de cobalt et de 2 898 % pour le lithium.
Alors même que les projets d’ouverture de mines se multiplient, de grandes boîtes type Tesla tentent de faire des réserves de ces minerais par peur des pénuries.
DEUX FOIS PLUS DE CO2
LORS DE SA CONSTRUCTION
Mais cela n’altère pas l’appétit des promoteurs de la bagnole électrique. De nouvelles batteries sans lithium ni cobalt ont été mises au point. Et nous ne sommes de toute façon jamais à l’abri de découvrir de nouveaux gisements en creusant toujours un peu plus la croûte terrestre.
Le problème des matériaux est à l’image de la grande mystification concernant la voiture électrique et le CO2. Pas de pot d’échappement, pas de fumée, pas d’odeur, c’est donc un véhicule « propre ». Tel est le message des promoteurs.
Ces derniers passent sous silence un premier problème : à modèle à peu près équivalent, la construction d’un véhicule électrique produit deux à trois fois plus de dioxyde de carbone que celle d’un thermique. La raison est assez simple : la fabrication de la batterie fait à elle seule doubler, voire tripler les émissions de gaz à effet de serre du produit fini. Si bien qu’une voiture électrique commence à être plus intéressante qu’une thermique, du point de vue du CO2, uniquement après avoir parcouru entre 30.000 et 100.000 kilomètres selon les modèles (4). Et les batteries n’ont pas une durée de vie infinie : celle-ci est estimée à 10 ans maximum.
Une autre question se pose ensuite au moment de la recharger. Si l’électricité n’émet pas de gaz à effet de serre au moment de sa consommation, c’est rarement le cas au moment de sa production. Au niveau mondial, la première source d’énergie primaire à l’origine de la « fée électricité » n’est autre que… le démon charbon, qui en produit environ 36 %. En y ajoutant le gaz et le pétrole, la part des énergies fossiles dans le mix électrique mondial atteint 63 %. Ce qui n’est pas brûlé dans le moteur de la voiture thermique l’est donc, au moins en partie, dans les centrales qui alimentent ensuite les batteries.
Cela peut avoir un intérêt : rendre l’air des centres-villes plus respirable. Mais au niveau global, on déplace le problème des émissions plus qu’on ne le règle.
C’est à ce moment-là de l’histoire qu’inévitablement, arrivent en trombe les nucléocrates : « En France, la production d’électricité émet peu de gaz à effet de serre ! » En effet, les deux tiers sont d’origine nucléaire, complétés par les énergies renouvelables. Seuls 7,5 % sont issus de centrales thermiques. Dangerosité, cherté, bouleversement du cycle de l’eau, non-gestion des déchets radioactifs… Pour une multitude de raisons, le (re-)développement du nucléaire au XXIe siècle est une très mauvaise idée. C’est pourtant l’autoroute vers laquelle se dirige la France, avec l’annonce de la construction de 6 à 14 nouveaux réacteurs d’ici 2050.
En laissant tout le reste de côté, la voiture nucléaire française, rechargée avec les surplus de la production nucléaire, aura-t-elle au moins le mérite de faire baisser les émissions de CO2 ? Ce n’est même pas certain. Car actuellement, lorsqu’il y a du surplus, il est revendu à l’étranger, par exemple à l’Allemagne. Si demain, ces excédents sont mobilisés pour recharger les batteries dans l’Hexagone, il se pourrait bien que nos voisins compensent le manque en faisant tourner leurs centrales à charbon ! Il ne reste plus qu’à espérer que l’électrification des transports ne soit pas synonyme de nucléarisation du monde…
Restent ensuite les énergies renouvelables. À l’heure où les Français·es ne sont pas certains de pouvoir se chauffer cet hiver, il faudrait en accélérer sérieusement le développement pour qu’elles parviennent, en plus d’alimenter nos radiateurs, à faire rouler les voitures du pays !
Plusieurs spécialistes s’accordent tout de même à dire que la voiture électrique peut présenter certains atouts, dans certaines conditions et avec certaines propriétés : il faut principalement que ces véhicules soient légers, caractéristique que les gouvernements ont justement toujours refusé d’imposer aux constructeurs. Bref, les voitures électriques sont très, très loin de constituer la solution magique, et ne changeront fondamentalement rien au problème si elles sont destinées à remplacer à l’identique l’usage des bagnoles à essence.
Nicolas Bérard
Illustration : Mich, 1920. © GALLICA
* Dans son livre L’âge des low tech, éd. Seuil, 2014.







