Peut-on être écolo et soutenir une mesure qui programme l’obsolescence de millions de véhicules ? Opposons-nous aux ZFE, injustes socialement, et qui ont un impact contrasté sur la qualité de l’air.
Les Zones à faibles émissions, ce sont globalement les centres, plus ou moins élargis, des métropoles. Quarante-trois agglomérations sont concernées en France. Au plus tard au 1er janvier 2025, soit dans deux ans, les diesels fabriqués avant 2011 et les essences avant 2006 ne pourront plus y pénétrer, sous peine d’une amende de 68 euros. Cela représente 35 % des véhicules actuellement en circulation en France.
Comment critiquer une mesure visant à limiter la pollution atmosphérique ? Même si nous comprenons mal le concept du « décès prématuré » – la pollution de l’air génère 40.000 décès prématurés par an -, on comprend parfaitement bien ce qu’est un cancer du poumon, du sein, une maladie chronique… Bref, il faut limiter la pollution atmosphérique, donc la pollution due au trafic routier. C’est pour cela que l’État impose des normes aux constructeurs : le pot catalytique, le filtre à particules, etc. Ainsi, les véhicules actuels polluent moins l’air que leurs prédécesseurs, et vu l’évolution des normes actuelles, couplée avec le durcissement du contrôle technique, les véhicules de demain pollueront encore moins que les véhicules actuels. L’air sera donc plus respirable à l’avenir, de toute façon. Les ZFE, finalement, ne visent qu’à accélérer cette dynamique.
AMÉLIORATION « CONTRASTÉE »
DE LA QUALITÉ DE L’AIR
Mais ce faisant, l’État programme l’obsolescence des véhicules les moins récents. C’est là un problème de taille. Rappelons en effet l’évidence : pour fabriquer une voiture, il faut extraire de la matière, la transformer, la transporter… On ne parle pas ici de bas nylon, mais d’un objet qui pèse très lourd (et de plus en plus…), nécessitant beaucoup de matière et d’énergie pour sa fabrication, sans même évoquer le sujet des batteries électriques et du traitement des déchets.
On le sait, l’obsolescence programmée, en réduisant le cycle de vie et en mettant au rebut des objets qui remplissent encore l’usage pour lequel ils ont été fabriqués, est une aberration environnementale parce qu’elle oblige à produire et à consommer plus. C’est pour cette raison que la technique est interdite et passible de sanctions pénales si elle est utilisée par les fabricants… mais pas par l’État. Avec les ZFE, l’État est-il en train d’organiser un plan de relance du secteur automobile, basé sur l’obsolescence programmée ? Les ZFE débarquent en tout cas au moment où l’industrie automobile européenne se porte très mal.
Ceci explique peut-être pourquoi le gouvernement est si volontariste sur ce sujet, quand il traîne par ailleurs lourdement des pieds pour imposer des mesures simples, réclamées par la société, mais qui ne feraient pas le jeu du productivisme : restriction des pesticides, limitation des emballages à la source, de la pub, de l’étalement urbain… du poids des véhicules.
Or, le productivisme n’est-il pas à la racine de tous les problèmes environnementaux ? Anticipons maintenant deux critiques. La première serait d’objecter que les restrictions liées aux ZFE n’impliquent pas nécessairement un rachat de véhicule ; que ceux qui roulaient en voiture se déplaceront désormais en transports en commun, ou à vélo… A priori, ce n’est pas le cas : les ZFE n’ont pas d’impact sur le trafic routier, d’après l’expérience qu’on peut tirer des ZFE déjà en place en Europe.
La deuxième objection est la plus évidente : « oui, mais les ZFE, ça marche, l’air est moins pollué ». Ainsi, admettons que l’on assume moralement d’augmenter la pollution importée de la construction des bagnoles, loin desyeux, pour réduire celle qui concerne notre santé à nous. Si nous roulons tous avec des véhicules « propres », la pollution de l’air ne va-t-elle pas s’améliorer, et s’améliorer radicalement ? Le bon sens nous ferait dire que c’est évident. Mais apparemment, l’impact des ZFE n’est pas aussi clair que ça : « Les différentes études tendent à montrer que (…) l’amélioration de la qualité de l’air urbain est contrastée », lit-on dans un article d’une revue spécialisée, écrit par deux experts du domaine*.
MESURE INJUSTE SOCIALEMENT
Le seul impact indiscutable de la mise en place des ZFE, c’est donc l’accélération du renouvellement du parc automobile. Qui sont les consommateurs contraints ? A priori, tout le monde, mais certains citoyens sont plus égaux que d’autres devant la contrainte économique ! Et ceux qui ont encore un vieux véhicule sont souvent… ceux qui n’ont pas les moyens d’en changer ! Une étude portant sur la ZFE de l’agglomération grenobloise a ainsi conclu que la mise en place du dispositif a eu des impacts différenciés selon les catégories socio-professionnelles, puisque celles aux plus faibles revenus ont en proportion plus de voitures concernées par l’interdiction.
Le cadre sup qui a les moyens de vivre au centre, à trois stations de métro de son travail, ne voit que les effets bénéfiques de la ZFE, lui. Il pourra prendre son SUV Crit’Air 2 pour, le temps du week-end, se mettre au vert…
Oui à la limitation des places de parking, oui à la multiplication des offres de transports publics, oui aux aménagements qui contraignent la bagnole et favorisent le vélo, oui à l’encadrement des loyers pour un logement urbain pour tous, oui au prêt de véhicules électriques, à l’autopartage… Oui, bannissons la bagnole ! Mais arrêtons de faire le jeu de l’industrie automobile sur le dos de ceux qui sont déjà précarisés par la hausse du prix des carburants, et qui ne polluent pas par plaisir, faut-il le répéter.
Défendons une écologie populaire, loin de celle qui a snobé les Gilets jaunes. Soyons écolos, demandons un moratoire sur les ZFE !
Fabien Ginisty
Illustration : 1925 © GALLICA
* Comment prendre en compte l’impact social des ZFE ?, M. Zamblera et S. Magri, revue TEC, juin 2019.
Le Cerema est un établissement public sous la tutelle du ministère de la Transition écologique, qui « accompagne l’élaboration, le déploiement et l’évaluation des politiques publiques d’aménagement et de transport. » Nous avons cherché à contacter Maïlys Zamblera, chargée d’études au Cerema, et co-auteure de l’article, pour en discuter. Devant notre insistance, le service presse du Cerema nous a finalement répondu : « Sur ce sujet, le Cerema laisse s’exprimer le gouvernement et les collectivités impliquées, nous ne pourrons donc donner suite à votre demande. »