Faire baisser le poids des véhicules. La mesure est simple, efficace et facile à mettre en œuvre. Dans les faits, c’est tout l’inverse qui se produit.
« Bah maintenant, elle va marcher beaucoup moins bien, forcément ! » Chacun·e connaît cette réplique culte de Bourvil, dans le film de Gérard Oury Le Corniaud. Au volant de sa 2CV désormais en pièces, il vient de se faire rentrer dedans par la Rolls-Royce du personnage interprété par Louis de Funès. « Leurs véhicules représentent les deux extrêmes de la production de l’époque », observe l’ingénieur Laurent Castaignède* dans son ouvrage Airvore ou le mythe des transports propres (éd. Écosociété).
La 2CV de Bourvil, d’une puissance de 18 chevaux, pèse 530 kg à vide, alors que la Rolls Silver Cloud de de Funès atteint 190 chevaux et un poids de deux tonnes. Quant aux conducteurs, le premier représente le « Français moyen » qui part en vacances, le second un PDG riche et pressé. Autre fait notable de cette scène : la grosse Rolls s’en sort sans une égratignure. Elle représente ainsi tout à la fois la puissance, la vitesse, le fric et la sécurité. Autant d’éléments qui sont, toujours aujourd’hui, au cœur des publicités des constructeurs auto.
La planète ne leur dit pas merci : outre que les véhicules plus lourds augmentent mécaniquement leur empreinte carbone lors de leur construction, il en va de même lors de leur utilisation. Soixante ans plus tard, en dépit des progrès techniques réalisés sur l’efficacité des moteurs et l’aérodynamisme, « la voiture française moyenne consomme de 6 à 7 litres aux 100 km »*, c’est-à-dire plus que le mythique modèle de chez Citroën.
POIDS MOYEN EN AUGMENTATION
La raison est simple : le poids des véhicules ne cesse d’augmenter. « Au sein de l’Union européenne, la masse moyenne des voitures commercialisées est passée de 1.000 à plus de 1.400 kg à vide entre 1980 et 2020. »* En 2021, 45 % des bagnoles neuves vendues dans le monde étaient des SUV, ces espèces de 4×4 urbains qui, pour l’immense majorité, ne rouleront jamais sur autre chose que du bitume…
Seul intérêt réel pour leurs conducteurs et conductrices : leur sécurité personnelle (on en revient au Corniaud). Mais cette logique individualiste conduit à une escalade sans fin : plus la voiture moyenne est lourde, plus l’automobiliste soucieux de sa sécurité devra investir dans un véhicule au moins aussi balaise. Et comme tout cela se traduit par des émissions supplémentaires de CO2 (entre autres polluants), il est indispensable d’enclencher la désescalade.
C’est précisément ce qu’a tenté d’initier la Convention citoyenne pour le climat. Parmi ses 149 propositions, l’une d’elles visait à instaurer des malus aux véhicules lourds, le problème ne se limitant pas aux émissions de CO2 : « Les véhicules plus lourds présentent de nombreuses autres externalités : les accidents qu’ils causent sont plus graves (en particulier pour les véhicules hauts, type SUV, dont les pare-chocs sont à hauteur des organes vitaux des piétons), le freinage émet davantage de particules fines, et ils occupent davantage d’espace public, au détriment des autres modes de transport moins polluants », précisaient les membres de la Convention.
La proposition était donc la suivante : fixer une limite de poids de 1400 kg par bagnole, au-delà desquels les constructeurs auraient à payer un malus de 10 euros par kilo supplémentaire. En fixant le plafond à 1400 kg, la mesure aurait mis un frein à l’alourdissement continuel des bagnoles, tout en épargnant une large partie de la population : même certains « petits » SUV auraient échappé au malus. Au final, la mesure aurait concerné 26 % des voitures vendues en 2019. Mais le gouvernement a décidé de fixer le plafond à 1.800 kg. Le malus ne concerne donc plus que… 2 % des véhicules, destinés à une clientèle qui n’en est peut-être pas à quelques milliers d’euros près.
Nicolas Bérard
Illustration : 1927 © GALLICA
* Airvore ou le mythe des transports propres, Laurent Castaignède.