Comment parle-t-on de la neige ? Des Inuits qui auraient 50 mots pour la décrire, au langage technique des scientifiques, en passant par les mots d’argot qui invoquent souvent un étrange bestiaire, la neige, sous toutes les formes qu’elle prend, enrichit notre vocabulaire.
Des Inuits aux snowclones
Il est une légende à la peau dure, selon laquelle les Inuits auraient au moins cinquante mots voire même 100 pour parler des différents types de neige. Cette idée serait à nuancer, d’abord, en distinguant de quelle langue il est vraiment question, car les peuples autochtones des régions d’Arctique en ont plusieurs, ensuite en expliquant que certains mots différents sont en fait dérivés d’une même racine. Les langues inuit sont souvent agglutinantes, c’est-à-dire que les mots se modulent en y ajoutant des affixes qui en modifient le sens de base. On peut donc en créer de nouveaux. Dans son Dictionnaire français-esquimau du parler de l’Ungava, publié en 1970, le linguiste missionnaire Lucien Schneider distingue une douzaine de mots aux racines distinctes, pour parler de la neige – ce qui est déjà beaucoup par rapport à notre seul mot-racine “neige”.
Citons par exemple qanik, neige qui tombe, mingolek, neige fine, masak, neige humide tombante, iglusaq, neige bonne pour construction d’igloo… Termes qui peuvent donc se combiner à des affixes pour désigner bien des formes de neige. Par exemple, dérivé de qanik : “qaniapaluk, neige très fine tombant par temps calme”. Autre nuance, ces termes s’appliquent parfois à autre chose que la neige. Leur sens dépend alors du contexte. Maujaq, neige dans laquelle on s’enfonce, peut s’appliquer à tout type de sol. En hiver, c’est pour un couvert de neige molle.
Cette histoire de mots inuits avait servi de base pour étayer une théorie controversée, sur l’influence de la langue sur nos conceptions du monde. Aujourd’hui, on s’en servirait pour illustrer le fait qu’une langue puisse avoir plusieurs mots pour un concept propre à la culture à laquelle cette langue est rattachée. On entend alors parfois que “si les Inuits ont cinquante de mots pour décrire la neige, alors tel autre groupe doit avoir cinquante mots pour décrire un concept qui lui est propre“. Le linguiste Geoffrey Pullum a inventé à partir de ce raisonnement, le concept de snowclone. Il désigne une phrase type, une expression courante, tirée de divers contextes, que l’on détourne avec d’autres mots que ceux qu’elle contient initialement. Par exemple : “trop de neige tue la neige“, “la neige est morte, vive la neige“, “neiger or not neiger” et autres reprises picorées dans la mémoire collective.
Le grain de la neige
Qu’elle coule ou qu’elle colle entre les doigts, qu’elle soit un peu fondue ou bien sèche, qu’elle ait un pouvoir isolant fort ou non, la neige peut avoir différents “grains”. Cristaux de neige fraîche, particules reconnaissables, grains fins, grains à face plane, grains ronds, givre de profondeur, croûte de glace… Dans le vocabulaire scientifique de la neige, on en compte huit à dix types qui se déclinent en sous-types. “Si on mélange, ça fait 37 puissance 2 possibilités”, souligne Pascal Hagenmuller, chercheur au Centre d’études de la neige.
Il a étudié pendant huit mois dans l’Arctique canadien, à Cambridge bay, l’évolution de la neige, “cet objet d’étude palpable”, pour en améliorer les modèles actuels. 1369 possibilités descriptives, voilà qui a de quoi inspirer de nouvelles légendes sur nos langages.
Le bestiaire des flocons
Les parlers locaux sont riches d’expressions sur la neige, appelée “neigée” dans le Haut Jura et “bouffade” en Lozère. On a pu dire, quand elle tombe, que “le Bon Dieu plume ses oies“, et parler quand elle est tardive des “biquets d’avril“, ou de la “neige du coucou“. Les flocons étaient des “mouches blanches“, des “papillons blancs“, et quand ils se faisaient particulièrement denses, des enfants : “Il neige comme les écoliers de Paris“. La langue basque distingue la vitesse de la chute par deux locutions distinctes (elur mara mara et elur malo malo), tandis qu’en russe on dira : ungëm sniek, “la neige marche“. “La neige des Avents, elle prend les dents“, disait-on aussi en Lozère pour indiquer que les neiges précoces tiendront au sol toute la saison.