Pas de nouvelles, bonnes nouvelles ? Souvent présentée comme « le mauvais élève de l’Union Européenne », la Grèce est sortie des radars médiatiques depuis plusieurs années. Après une décennie d’austérité, le parti au pouvoir « s’extrême-droitise » et continue d’appliquer les mêmes recettes.
Il y a, bien sûr, toujours ce petit bruit de fond médiatique, très ambivalent : les images idylliques des îles et de l’Acropole, ou alors celles, tragiques, des réfugiés morts en mer Égée et des catastrophes naturelles. Ce qui donne au pays des allures de musée, teintées de fatalisme. Si l’on en croit Pierre Moscovici, alors commissaire européen, la « crise grecque » se serait achevée lors d’une nuit de juin 2018, après une réunion des ministres des Finances de la zone euro (1). Mais il y a le discours technocratique d’un côté et la réalité sociale de l’autre.
Depuis une décennie, la Grèce est présentée comme un pays « en crises » : « crises » de la dette, économique, migratoire, sociale, politique et environnementale. Krisis désigne en grec le « moment où l’avenir se décide » et la remise en cause d’une décision, où plusieurs options s’offrent à nous. Tellement usé, ce terme est désormais mobilisé pour nous convaincre qu’il existe une seule option : la voie néolibérale, qui va de pair avec un autoritarisme voire un fascisme rampant. « There is no alternative ». En cela, la Grèce constitue bien un laboratoire du « capitalisme du désastre », pour reprendre la formule de la journaliste Naomi Klein.
Misère galopante et ébullition politique
Décembre 2008 marque un moment fort de la contestation. Alexis Grigoropoulos, 15ans, est tué par un policier dans le quartier athénien d’Exarcheia. C’est l’élément déclencheur du soulèvement d’une partie de la jeunesse qui commence à sentir les effets de la précarisation. En plus de grèves générales massives, le mouvement d’occupation des places éclate dans un pays en ébullition dès le vote du premier mémorandum, en mai 2010. Suivront deux autres accords signés entre la Grèce et la Troïka (2), qui assure un refinancement de la dette publique grecque. La contrepartie ? Une série de mesures basées sur le triptyque austérité-dérégulation-privatisation.
Des assemblées de quartier aux cuisines sociales, en passant par la création de lieux d’accueil pour les personnes à la rue, de multiples initiatives d’entraide, populaires et autogérées, se répandent et s’ancrent un peu partout en Grèce. Si ce mouvement comprend des courants politiques contradictoires, il témoigne d’une critique profonde de la démocratie représentative et de la voie néolibérale. Pour une partie grandissante de la population, les conséquences des politiques d’austérité sont terribles : plus d’un tiers de la population sans aucune couverture maladie, un chômage de masse, une baisse de moitié des pensions de retraite et de 40 % du salaire des fonctionnaires, des hôpitaux publics délabrés, des écoles fermées… Et une augmentation en flèche des dépressions et des suicides.
Fascisme de rue
Dans un même temps, le parti nazi Aube Dorée, avec ses bataillons paramilitaires, commet des pogroms et sème la terreur dans les rues. Notons le crime du travailleur pakistanais Shahzad Lukman et l’assassinat du rappeur antifasciste Pavlos Fyssas en 2013. Si Aube Dorée a été condamné en octobre 2020 et reconnu par la justice grecque comme une organisation criminelle, la menace fasciste plane toujours sur le pays. La parenthèse Syriza (le parti de gauche au pouvoir de 2015 à 2019), loin d’être enchantée, s’est refermée avec la poursuite des politiques d’austérité. Le rouleau compresseur est accélèré avec le gouvernement actuel de Nouvelle Démocratie qui compte dans ses rangs des transfuges du Laos (extrême droite orthodoxe). Pour avoir une idée de leur pedigree, l’un d’eux occupe le poste de ministre de la santé et a appelé par le passé à ouvrir le feu sur les migrants et à rouvrir Auschwitz.
Le gouvernement du Premier ministre Kyriakos Mitsotakis se félicite « d’avoir réduit les flux migratoires de 80 % en 2020 » et construit des camps toujours plus fermés. Parralèlement, la répression policière continue contre les franges les plus radicales de la société (militants squatteurs, anticapitalistes, écologistes). Le basculement vers un régime de rétrécissement des droits et des libertés est désormais manifeste.
Déclarations en trompe-l’œil
Bien loin des déclarations fracassantes du FMI et des dirigeants européens célébrant la « liberté retrouvée de la Grèce » et « la réussite des plans de sauvetage », le politologue Éric Toussaint rappelle que « la Grèce reste bien sous tutelle des créanciers en général, elle doit […] impérativement dégager un surplus budgétaire primaire de 3,5% qui va la contraindre à poursuivre des politiques brutales de réduction de dépenses publiques dans le domaine social et dans l’investissement. […] La Grèce rembourse en permanence des montants considérables à la BCE, au FMI, aux créanciers privés, ce qui l’empêche de répondre aux besoins de sa population » (1). L’apparente « reprise de l’économie » masque l’exil d’une partie importante d’une jeunesse sans perspectives, la détérioration des conditions de travail et les conséquences néfastes de l’intensification du sur-tourisme. L’augmentation brutale du coût de l’électricité (+ 50 %) en août dernier et celle de produits de base comme le pain, les pâtes et le café (+ 20 à 40 %) risque d’être une catastrophe pour bien des vies déjà sur le fil.
On aurait pourtant tort de parler du « problème grec ». Pour toutes celles et tous ceux en recherche d’alternatives, quelles leçons pouvons-nous tirer ? Comment faire société ? Les solidarités continuent à se déployer en Grèce. Mise en lumière ces existences faites de souffrances, de bricolages mais aussi de résistances et de solidarités.
Dossier réalisé par Nicolas Richen
(textes et photos), correspondant à Athènes
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1 – « La crise grecque s’achève ici, cette nuit. Nous sommes finalement arrivés au bout de ce chemin qui a été si long et si difficile. C’est un moment historique », a twitté Pierre Moscovici le 22 juin 2018.
2 – La Troïka est l’ensemble composé par la Commission européenne, la Banque centrale européenne et le Fonds monétaire international.
3 – « La politique de la Troïka en Grèce : Voler le peuple grec et donner l’argent aux banques privées, à la BCE, au FMI et aux États dominant la zone euro », cadtm.org, 20 août 2018.