La transition énergétique est sur toutes les lèvres, figure dans quasiment tous les programmes politiques et est même plébiscitée par l’industrie. Telle qu’elle est menée, elle aurait pourtant plutôt tendance à accélérer la catastrophe. Explications.
Écoutez cet article, lu par Benjamin Huet :
Le 13 mai, le géant de l’informatique Microsoft annonçait un plan d’investissement de 4 milliards d’euros dans l’Hexagone, conduisant à l’implantation d’un nouveau centre de données près de Mulhouse. Cette annonce et le traitement médiatique qui en a été fait illustrent presque à la perfection le piège de la « Transition énergétique ». La firme, qui développe ainsi son infrastructure dans l’intelligence artificielle, s’est engagée à faire fonctionner tout ce tralala uniquement avec des énergies renouvelables. Emmanuel Macron a aussitôt fanfaronné, y voyant la preuve « qu’on peut faire de la croissance, de la décarbonation et de la digitalisation ».
Et si, finalement, il avait raison ? Si le capitalisme mondialisé était effectivement sur le point de nous sauver du péril climatique, grâce à son incroyable capacité d’adaptation et d’innovation ? Les chiffres semblent parler pour lui : Eurostat nous apprend que « les énergies renouvelables ont battu des records en Europe » en 2023, leur part de l’électricité produite dans l’Union Européenne (44 %) dépassant largement celle des fossiles (33 %). Au niveau mondial, les renouvelables atteignent près de 15 % du mix énergétique (1). On a envie d’y croire : encore cinq-six fois ça et on atteindra le 100 % renouvelables, non ?! Et ainsi se diffuse la petite berceuse de la croissance verte et du développement durable.
Un passé qui n’existe pas vers un futur qui reste fantomatique
Driiing ! L’historien Jean-Baptiste Fressoz fait sonner le réveil. Dans son livre Sans Transition (2), il raconte « une nouvelle histoire de l’énergie permettant de comprendre l’étrangeté radicale de la notion de transition. Au lieu de présenter la succession des systèmes énergétiques au cours du temps », il explique pourquoi « toutes les énergies primaires ont crû de concert et pourquoi elles se sont accumulées sans se remplacer ». Dans le grand gâteau de la production d’énergie, en effet, les renouvelables se taillent une portion de plus en plus importante. Le problème, c’est que dans le même temps, le gâteau ne cesse de grossir. Résultat : en 2023, nous n’avons certes jamais produit autant d’énergies renouvelables, mais nous n’avons jamais cramé autant de charbon non plus ! Idem pour le pétrole ! C’est une question de présentation : les malins transitionnistes mettent en avant le fait que les énergies fossiles baissent en valeur relative… pour mieux cacher qu’elles augmentent en valeur absolue !
Une idée largement répandue voudrait pourtant que la civilisation ait connu plusieurs chapitres énergétiques : après le muscle humain et animal puis le bois énergie, le charbon a fait le travail, jusqu’à ce que le pétrole prenne le relais. La transition du XXIe siècle consisterait à remplacer, cette fois-ci, le pétrole par des renouvelables.
Mais ces précédentes transitions n’ont jamais eu lieu ! Au fil de l’histoire industrielle, toutes les sources d’énergie ont au contraire évolué en symbiose, l’accroissement de l’une entraînant plutôt celui de l’autre. L’utilisation du charbon, par exemple, n’a jamais remplacé l’exploitation du bois-énergie. Les mines de charbon elles-mêmes consommaient des quantités extravagantes de bois pour fonctionner, principalement sous forme d’étais destinés à soutenir les galeries. « Certes, les étais sont rangés du côté du bois d’œuvre, mais il s’agit d’une convention discutable : leur fonction était bien de produire de l’énergie. »
Autre exemple : « Au XXe siècle, comme aujourd’hui, le pétrole est pompé par des machines en acier, il est transporté par des bateaux, des wagons-citernes ou des pipelines en acier, il est raffiné dans des usines en acier et finit brûlé par des moteurs en acier faisant avancer des engins en acier. Et pour l’essentiel cet acier est produit avec du charbon. » L’imaginaire de la transition énergétique projette donc « un passé qui n’existe pas sur un futur qui reste fantomatique ».
Ce à quoi nous assistons actuellement n’a rien d’une « transition » :il s’agit d’une « expansion symbiotique » du système énergétique.
Le solaire au service du capitalisme ?
Cette analyse nous fait voir l’annonce de Microsoft d’un autre œil. Quand bien même l’entreprise ouvrirait une ferme de panneaux solaires (3), ceux-ci alimenteraient un nouveau « besoin » au lieu de faire baisser la consommation de charbon, de pétrole, de gaz naturel ou de nucléaire. De plus, la construction de ces panneaux solaires exigera l’utilisation d’énergies fossiles pour extraire des matières premières, assembler le tout, puis acheminer les panneaux jusqu’à leur lieu d’implantation. Ils fourniront alors de l’électricité à un site comprenant espace de stockage de données et supercalculateur énergivores, dont on s’était très bien passé jusque-là. Au final, l’énergie de ces panneaux, toute renouvelable qu’elle soit, ne fera que renforcer un capitalisme destructeur. « La transition est l’idéologie du capital au XXIe siècle, tranche Fressoz. Grâce à elle, le mal devient remède, les industries polluantes, des industries vertes en devenir, et l’innovation, notre bouée de sauvetage. »
Puisque cette bouée est trouée, sommes-nous définitivement foutus ? Non. Car même si les renouvelables ont un rôle à y jouer, nous connaissons tous et toutes l’élément de base d’un réel changement. Il peut porter plusieurs noms mais désigne une même idée générale : décélération, décroissance, sobriété… Au travers d’exemples concrets, on a cherché à savoir ce que ça pourrait donner. Comme dirait Gébé : « Et c’est pas triste ! »
Nicolas Bérard
1 – Energy Institute’s statistical review 2023
2 – Sans transition, une nouvelle histoire de l’énergie, de Jean-Baptiste Fressoz, éd.Seuil, coll. écocène, 410 pages, 24 €.
3 – Ce qui, écologiquement, pose aussi de sérieuses questions : lire notre dossier « Pour un autre photovoltaïque », L’âdf n° 180.