Nous avons reçu à la rédaction une mystérieuse lettre non timbrée, adressée à « L’âge de faire 2034 ».
« Nous sommes vos descendants proches. Nous vous écrivons depuis 2084, chers habitants de 2034, pour vous remercier d’avoir bifurqué. Cela n’a pas dû être facile, tant vos dirigeants vous bassinaient avec « la compétitivité »… On voulait vous rassurer : vous avez fait le bon choix. On est bien, en 2084, à 10 milliards sur Terre ! D’ailleurs, la population a légèrement baissé l’an dernier, non pas du fait des guerres et des épidémies, mais simplement parce qu’on fait moins d’enfants malgré la fertilité retrouvée. Le dérèglement climatique est là, causé par les émissions du début du siècle et du siècle précédent, mais a priori, il n’empirera pas. On commence à entrevoir la baisse des gaz à effet de serre dans l’atmosphère au XXIIème siècle !
On a retrouvé une étude de l’Ademe du début des années 20 qui montrait que 90 % de la population pensait « nécessaire » de revoir le modèle économique basé sur le productivisme. Pourquoi, au même moment, vos gouvernants prônaient la « croissance verte » ? Vous avez mis en place la branche alimentation de la Sécurité sociale. Savez-vous que pour certains historiens de 2084, cela marque le début de la bifurcation, même si d’autres pointent le fait que les expérimentations citoyennes étaient déjà nombreuses dans ce sens ? Qu’importe : après 40 ans de décroissance, notre empreinte environnementale est assez réduite pour garantir aux générations futures un niveau de bien-être égal, sinon meilleur … et on est déjà pas mal ! Moins stressés que vous en tout cas!
Certains avaient peur du « retour à la bougie ». Vous avez donc initié la bifurcation sans vraiment le savoir, en voulant améliorer le bien-manger et sauvegarder l’agriculture paysanne : la mise en place de la Sécu de l’alimentation a provoqué une petite révolution. Les gens ont vu l’amélioration dans leur assiette, le chômage a baissé du fait des embauches dans l’agriculture, ainsi la stagnation du PIB n’a pas été mal vécue. Ça, vous le savez déjà.
Et le futur ? Beaucoup d’entre vous apprécieront le fait de travailler moins, et cela facilitera le reclassement des salariés de l’automobile et de l’aviation. La baisse du pouvoir d’achat sera surtout sensible pour les classes supérieures. Les bas salaires bénéficieront des mesures fiscales redistributives. La baisse du temps de travail favorisera l’auto-production. Apparaîtront les Amicales du barbecue (élevages autogérés de quartier) et, sur le modèle des ateliers d’auto-réparation de vélo, le réseau «Tu Casses On Répare Ensemble », de l’ordinateur aux toitures. Voilà pour l’aperçu … mais ne croyez-pas que c’est écrit d’avance ! »
Fabien Ginisty