Lundi 3 février, salle des profs d’un lycée, à Manosque. À la pause de 10 heures, un enseignant attire l’attention de ses collègues et prend la parole. « Je sais pas si vous êtes au courant, mais la part collective du Pass Culture a été gelée. Si vous n’aviez pas validé vos projets, ça va être compliqué. Moi, j’ai passé tout le week-end à me demander si je pourrais faire la sortie de jeudi avec mes élèves. J’ai été informé par le cinéma lui-même que c’était bloqué. J’ai passé des heures pour rien sur la plateforme saturée ! Finalement, la cheffe d’établissement a trouvé une solution, un petit financement du lycée. Mais pour la suite… »
Comme dans tous les collèges et lycées de France, c’est la sidération. De nombreux profs ont appris le gel du Pass par le biais de leurs partenaires culturels. Alors qu’à partir du jeudi 30 janvier, ils avaient un délai de 48 heures pour valider leurs projets, « dans l’académie d’Aix-Marseille, l’annonce n’a été faite aux chefs d’établissement que le vendredi 31 janvier au matin dans le chaos le plus total », rapporte le syndicat Sud Éducation 04. Expérimenté à partir de 2017, le Pass Culture a été généralisé en 2021 à tous les jeunes de 18 ans, qui bénéficient d’une enveloppe de 300 euros par an pour financer des dépenses culturelles et artistiques.
En 2022, il a été étendu aux jeunes de 15 à 17 ans – avec une somme de 20 à 30 euros par an. Un volet collectif a aussi été mis en place, sous forme d’un crédit annuel alloué à chaque classe dès la 6e, correspondant à 25 euros par élève.
Géré par une SAS détenue à 70 % par l’État et à 30 % par la Caisse des dépôts et consignations, le système a fait en décembre dernier l’objet d’un rapport critique de la Cour des comptes. L’étude s’est concentrée sur le volet individuel, qui mobilise le plus d’argent public – 240 millions d’euros prévus en 2024, contre 80 millions pour la partie collective. La Cour observe que 25 % des jeunes concernés n’ont pas utilisé leur Pass, et qu’ils appartiennent majoritairement aux classes populaires. Elle relève aussi que le système a tendance à conforter les pratiques culturelles majoritaires, plutôt qu’à les diversifier. Pour faire des économies*, elle fait deux propositions : réduire le montant individuel alloué par jeune de plus de 18 ans, ou mieux cibler les bénéficiaires en fonction de « critères sociaux et territoriaux ».
Le choix politique adopté est tout autre. La part individuelle a été maintenue, tandis que la part collective, qui est pourtant la plus à même de réduire les inégalités et d’ouvrir aux jeunes des horizons inattendus, a été rognée. Le gel du Pass Culture, qui était devenula principale source de financement pour les établissements scolaires du secondaire, fragilise l’école publique ainsi que l’activité de centaines d’intervenants culturels, dont les partenariats ont été annulés.
Quant à la brutalité de la décision, prise sans discussion ni préavis, elles démontre un profond mépris des acteurs éducatifs, profs et artistes, qui travaillent directement avec les jeunes. Le temps passé à mettre sur pied des projets ? Tant pis ! Les efforts pour s’adapter à la plateforme Pass Culture ? Boh, pas grave ! Et les élèves à qui on avait annoncé des sorties ou des interventions enclasse, finalement annulées ? Visiblement, les sénateurs (à l’origine la décision), comme le gouvernement, n’en ont cure.
Lisa Giachino
* Faut-il vraiment faire des économies sur le dos des jeunes et de la culture ? Ceci est une autre histoire.