Avec l’annonce de l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dames-des-Landes et les menaces d’évacuation forcée des occupants de la Zad, se pose la question du devenir de ces terres de bocage.
Sur le terrain, et malgré les divergences, l’assemblée Sème ta Zad a posé des bases pour envisager un futur commun. En mars 2016, occupants et agriculteurs nous avaient décrit à quoi pourrait selon eux ressembler ce futur.
[Reportage publié dans L’âge de faire n° 107 d’avril 2016]
Avant la relance du projet d’aéroport, le paysage agricole de Notre-Dame-des-Landes était constitué de fermes familiales. « Aucun de nous n’est en bio, mais nous tenons compte de nos sols et nous ne pratiquons pas une agriculture très intensive », affirme Marcel Thébault, éleveur laitier menacé d’expulsion.
Même si comme partout ailleurs, la tendance est à l’agrandissement des exploitations, beaucoup d’agriculteurs sont attachés au maintien de fermes petites et nombreuses. Il faut dire que la Loire-Atlantique a une histoire paysanne turbulente. C’est ici que l’éleveur de volailles et homme politique Bernard Lambert (1931-1984) a fondé le mouvement des Paysans travailleurs, qui a participé aux luttes du Larzac et a donné naissance à la Confédération paysanne.
De 1976 à 2007, la Confédération a été majoritaire à la Chambre d’agriculture du département – une exception en France, où règne la FNSEA. Après avoir perdu cette majorité, elle a initié, avec le soutien du Conseil général, un organisme d’accompagnement technique, puis une Coopérative d’installation en agriculture paysanne.
La mobilisation paysanne contre l’aéroport n’est pas neuve. L’Association de défense des exploitants concernés par l’aéroport (Adeca) existe depuis 1972 pour préserver les paysans « officiels » qui ont tout ou partie de leurs terres sur la Zad, soit plus de 40 fermes en tout.
Près de 30 ans plus tard, en 2011, est né Copain 44, le Collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport, qui rassemble des structures liées à l’agriculture biologique et aux circuits courts. Impliqué dans l’occupation de fermes, ce collectif s’intéresse aux expérimentations menées par les occupants. « Nous trouvons très bien qu’ils choisissent d’avoir une activité agricole, quelles que soient les modalités dont nous n’avons pas à juger », souligne Marcel Thébault.
« On côtoie beaucoup le souffle écolo »
À partir de 2013 ont éclos de nombreux projets agricoles, suite à la création de Sème ta Zad, une assemblée ouverte à tous qui discute du devenir des terres et des stratégies d’occupation.
Fondée par des occupants, l’Adeca et Copain, Sème ta Zad a permis que se confrontent des points de vue divergents : si la défense des terres rassemble, leur usage cristallise des conflits liés à des conceptions différentes de la vie, de la nature, de l’agriculture…
Marcel et Sylvie Thébault envisagent de passer en bio si la menace de l’aéroport leur laisse un jour quelque répit. Mais au plus fort des débats, Marcel s’est emporté contre ce qu’il appelle le « colonialisme » de certains occupants qui lui reprochaient d’utiliser des pesticides !
« Ils ont compris qu’un paysan ne peut pas à la fois se battre contre Vinci et révolutionner son système de culture », lâche-t-il, avant de reconnaître que ses nouveaux voisins le font évoluer.
On traite nos maïs avec des pesticides chimiques.
Mais de part cette lutte, on côtoie beaucoup le souffle écolo.
On ne mettra jamais de Cruiser, et nous avons l’objectif commun de nous améliorer pour respecter tout le monde… y compris les tritons !Marcel Thébault
Une partie des zadistes ont créé des liens forts avec des paysans locaux. Ils élèvent des troupeaux, cultivent des céréales et des légumes de plein champs, remettent des tracteurs en état…
Une activité agricole florissante, que d’autres occupants, vegans ou écologistes radicaux, ont du mal à supporter dans leur voisinage.
« Après différentes embrouilles, une zone non motorisée a été plus ou moins acceptée, sourit une occupante.
Certains voudraient qu’elle aille plus loin, d’autres visent un chemin où ils voudraient bien passer avec leur tracteur ! »
Les friches, sujet épineux
Toutefois, le sujet le plus épineux est sans doute celui des friches. De nombreux occupants souhaiteraient qu’une partie des terres soit réservée à la cueillette, la promenade, l’habitat, ou tout simplement laissée aux plantes et animaux qui s’y épanouiront.
« Génétiquement, ce n’est pas possible pour moi », avertit Régis Fresneau, membre de l’Acipa (Association des citoyens impactés par l’aéroport), qui participe aux réflexions de Sème ta Zad.
Éleveur en bio à 28 km de là, il a grandi à Notre-Dame-des-Landes, dans la ferme de la Vacherit, qui a servi de quartier général aux opposants en 2012. C’est son cousin qui a repris les terres familiales.
J’ai du respect pour le grand-père de mon grand-père qui les a défrichées, et je veux que ça reste à vocation agricole – commerciale, ou pas.Régis Fresneau
Impliquée dans Sème ta Zad et dans un potager collectif, une occupante s’étonne :
« Ça choque les paysans qu’on revendique 30 hectares sans agriculture…
alors que ça ne les choque pas du tout que 30 hectares d’un seul tenant soient entièrement cultivés ! »
Le beurre et l’argent du beurre
Malgré ces frictions, un texte en six points pose « les bases nécessaires pour se projeter sur la Zad une fois le projet d’aéroport enterré ».
Il prévoit que les habitants faisant l’objet d’une procédure d’expropriation ou d’expulsion, les paysans refusant de céder leurs terres, et les occupants qui ont rejoint la lutte, puissent rester en poursuivant leurs activités et leur mode de vie, y compris les formes d’agriculture et d’habitat « hors cadre ».
Le mouvement revendique également la gestion collective de 800 hectares qui sont actuellement redistribués chaque année par la Chambre d’agriculture, dans le cadre de baux précaires. Il s’agit des terres d’agriculteurs qui ont cessé leur activité, ou qui ont signé un accord amiable avec AGO-Vinci.
Le mouvement voudrait les soustraire à la Safer (1), afin qu’elles bénéficient aux projets des opposants ou de nouveaux paysans qui voudraient s’installer. La création d’une « entité » est envisagée pour assurer la gouvernance des 800 hectares, mais le mouvement peine à préciser sa forme.
Certains regardent du côté de la Société civile des terres du Larzac, d’autres préféreraient continuer à imposer aux pouvoirs publics l’existence d’une zone échappant aux cadres habituels.
En attendant, occupants et paysans apprennent, par la pratique, ce que pourrait être cette gouvernance : sur les 800 hectares, 220 sont déjà occupés et, de fait, gérés collectivement.
Sur cette zone qui échappe au contrôle de l’État, les agriculteurs à gros appétit, qui ont l’habitude de se partager le gâteau des terres à vendre ou à louer, ne font plus la loi.
En 2012, des parcelles avaient été attribuées par AGO à un jeune qui avait signé un accord à l’amiable.
Un groupe de la Zad en avait besoin pour des vignes, des vergers, des céréales et des ruches.
On est allés voir cet agriculteur. C’était comme si on lui arrachait la jambe !Mais c’est comme ça. Si on a besoin de terres pour un projet, on les demande et, la plupart du temps, ceux qui ont touché les indemnités reconnaissent qu’ils n’ont plus de droits sur ces parcelles.raconte Marcel Thébault
Ces conflits :
« passionnent les villages voisins, poursuit Marcel. Les gens disent : “Les zadistes piquent les terres !” Mais en général, si on leur explique qu’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre, ils comprennent».
Reste qu’en revendiquant de rester sur les terres à l’issue de la lutte, les occupants remettent en cause la propriété privée – une position qui dérange.
Ils savent que si le projet d’aéroport est abandonné, c’est une autre lutte qui commencera.
Lisa Giachino
(1) Société d’aménagement foncier et d’établissement rural.
En 2016, les journalistes de L’âge de faire, sont allés passer quelques jours sur la Zad. Ils en avaient ramené un hors série.
L’idée de ce cahier est claire : rendre compte de ce qui s’y vit.
Sur la Zad :
- on cultive les champs, les jardins;
- on élève des animaux;
- on construit, on répare;
- on échange des coups de mains et des savoir-faire;
- on troque;
- on gère les fragilités de certains;
- on se rencontre;
- on discuter;
- on invente…
On se prend la tête aussi parfois, c’est normal. La vie peut y être rude, en hiver.
Une nouvelle société s’invente loin des critères du monde capitaliste.