Malgré la loi de 2015 qui a fait de l’obsolescence programmée un délit, les firmes n’ont rien changé à leurs pratiques. Les lignes sont toutefois en train de bouger, notamment grâce au travail de l’association Hop.
Entente secrète des fabricants d’ampoules visant à limiter leur durée de vie à 1 000 heures ; ingénieurs payés pour concevoir des collants qui filent ; présence de programmes informatiques qui bloquent les imprimantes malgré des cartouches d’encre encore utilisables…
On se souvient peut-être de ces exemples marquants, révélés par le documentaire « Prêt à jeter », qui avait alerté l’opinion publique lors de sa diffusion par Arte en 2012 (1). Le concept d’« obsolescence programmée » était alors apparu dans les médias : un ensemble de pratiques utilisées par les fabricants pour réduire la durée de vie de leurs produits afin de pousser à la consommation.
En 2015, l’article 99 de la loi sur la transition énergétique a fait de l’obsolescence programmée un délit, passible de 2 ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende. En pénalisant ainsi les techniques visant à « réduire délibérément la durée de vie d’un produit pour en augmenter le taux de remplacement », la France devenait un pays précurseur dans la lutte contre l’obsolescence programmée.
Première plainte fin 2017
Et depuis 2015 ?
Rien n’a changé, si l’on se fie à la durée de vie toujours aussi courte des cartouches d’imprimante, ou encore, récemment, aux téléphones portables de la marque Apple, subitement ralentis après la mise à jour recommandée par le fabricant.
En revanche, côté consommateurs, du chemin a été parcouru par certains, notamment sous l’impulsion de l’association Halte à l’obsolescence programmée (Hop).
En septembre dernier, Hop a déposé une plainte contre X pour obsolescence programmée – une première – au sujet des imprimantes à jet d’encre. Dans sa plainte, l’association a compilé l’ensemble des éléments qui font peser la suspicion sur les quatre fabricants se partageant le marché, en particulier le japonais Epson.
À la lecture du document (voir ci-dessous), on se dit que les ingénieurs ont épuisé les possibilités visant à manipuler le consommateur, tant les éléments de tromperie sont nombreux, et parfois tellement grossiers !
Est-ce, par exemple, la quantité de plus en plus faible d’encre dans les cartouches au fil des années – alors que la taille de ces cartouches est restée la même – qui a finalement convaincu le procureur à agir ?
Quoi qu’il en soit, le Parquet de Nanterre a ouvert, le 24 novembre, une enquête préliminaire visant Epson.
« C’est la DGCCRF (2), la police des consommateurs, qui mène l’enquête, avec des moyens bien entendu plus importants que les nôtres », souligne Laetitia Vasseur, déléguée générale et unique salariée de Hop.
Compiler les témoignages
Quelles que soient les suites judiciaires qui seront données, l’ouverture de cette enquête a permis à l’association de faire connaître encore un peu plus largement son combat, notamment sur les réseaux sociaux. La page Facebook de Hop, par exemple, est aujourd’hui suivie par 12 500 personnes.
Là où auparavant les individus se trouvaient démunis face aux géants de l’industrie, Hop a ainsi créé une communauté en mesure de faire entendre sa voix : « Qui va aller, seul, devant les juges, avec son imprimante à la main, pour poursuivre Epson ? », illustre Lætitia Vasseur.
Et quelle est la valeur de centaines de témoignages individuels pris séparément ?
En les regroupant, Hop leur donne une visibilité. Elle propose ainsi aux victimes d’obsolescence programmée de décrire le problème rencontré avec leur imprimante ou avec leur téléphone portable, en remplissant un formulaire sur internet.
« Nous porterons ces témoignages à la connaissance de la DGCCRF, cela leur donnera une idée de l’ampleur du problème »
Pour l’heure, l’association a recueilli une centaine de témoignages concernant les cas d’obsolescence d’imprimantes, « alors que nous ne proposons de remplir le formulaire que depuis peu », se réjouit la militante, qui invite toute personne concernée à faire part de ses problèmes (3).
Néanmoins on n’est jamais trop nombreux quand on s’attaque aux géants de l’impression et encore moins face à Apple (4) : le 27 décembre. Hop a déposé une nouvelle plainte, cette fois-ci contre la firme américaine. Cette plainte fait suite aux déclarations de l’entreprise, quelques jours auparavant.
Reconnaissante qu’elle ralentissait ses anciens modèles de téléphone, invoquant son souci de « préserver les batteries » des appareils en question.
Il est facile de prouver que ces ralentissements coïncident avec la mise sur le marché de nouveaux modèles. explique Laetitia Vasseur.
Ainsi une enquête préliminaire a été ouverte début janvier contre la firme à la pomme, l’enquête également confiée à la DGCCRF.
Pour l’heure, Hop a recueilli plus de 7 000 témoignages de victimes d’Apple.
Fabien Ginisty
1 – « Prêt à jeter », de Cosima Dannoritzer, 2010, 74mn https://archive.org/details/PretAJeterLobsolescenceProgrammee.
2 – Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
3 – Les liens vers les différents formulaires pour témoigner d’un problème rencontré avec une imprimante ou un appareil Apple sont a retrouver sur le site de Hop : https://www.halteobsolescence.org/
4 – La firme Apple est la première capitalisation boursière au monde, avec plus de 900 milliards de dollars.
Sommaire du numéro 127 – Février 2018 :
- Édito : ZAD pas d’aéroport… et après ?
- Gestion des déchets : A Montreuil, le marché des biffins
- CISJORDANIE : Ce paysan palestinien qui veut parler aux colons
- Livre : 50 ans d’autogestion ouvrière
- Reportage : CAMILLE, ÉLECTROSENSIBLE, PROTÉGÉE PAR SES VOISINS
- Infographie : L’électro-smog
- LES ACTUALITÉS
- Pub : des écrans bientôt dans la rue ?
- Fin de partie pour la pêche électrique
- Obsolescence programmée : fin de l’impunité ?
- Histoire politique de l’alimentation : entretien avec Paul Ariès
- FICHES PRATIQUES
- Couture récup’ pour affronter les frimas
- L’ÂGE DE FAIRE partout en France