Militant passé par la prison, Ali Abu Awwad a fait de sa ferme un lieu de dialogue où l’on accepte qu’il y a « deux vérités pour un même endroit ». Aidé d’un rabbin, il invite les colons juifs à venir discuter.
Nous l’avons rencontré chez lui, en Cisjordanie occupée, à quelques centaines de mètres d’une route où Palestiniens et colons se heurtent régulièrement. Sur la route qui relie Bethléem à Hébron, chaque kilomètre parcouru mérite une thèse en géopolitique. Sur les collines qui la bordent, défilent les villages palestiniens et les colonies juives aux maisons flambant neuves.
En Cisjordanie occupée, la route 60 est un des seuls espaces où Palestiniens et colons juifs se croisent, toujours avec beaucoup de méfiance. Le carrefour de Goush Etzion, à mi-chemin entre les deux villes, est une des zones les plus tendues de la région, surveillée en permanence par l’armée israélienne.
Des agressions violentes, parfois mortelles, perpétrées par les deux bords, ont lieu ici tous les mois. C’est bien le dernier endroit où l’on s’attendrait à trouver un espace dédié au dialogue et à la non-violence. Et pourtant, au bout d’un chemin de terre, à seulement 500 mètres de la jonction autoroutière, les portes du centre Karama (« dignité » en arabe) sont ouvertes à tous ceux qui souhaitent surmonter la crainte.
Et malgré tout s’asseoir ensemble le temps d’apprendre à se connaître.
« Il ne suffit plus de parler avec la gauche pacifiste israélienne »
Ali Abu Awwad a fait un très long chemin avant d’aboutir à ce projet. Pour la majorité des Palestiniens, il est déjà difficile de parler aux Israéliens, mais entrer en contact avec les habitants des colonies – considérées comme illégales par le droit international – est quasiment inenvisageable.
À 45 ans, Ali n’a connu son pays que sous l’occupation militaire. Comme beaucoup de ses compatriotes, il a eu une vie ponctuée de drames : les années de prison et la mort de son frère, tué par un soldat de Tsahal. Fils d’une famille de réfugiés de 1948, très active politiquement, il marche dans les pas de sa mère militante arrêtée plusieurs fois. Durant toute son adolescence, il raconte n’avoir eu comme image des Israéliens que celle de soldats qui entraient avec violence, la nuit, dans les maisons pour arrêter et molester les occupants.
Son destin suit celui de nombreux jeunes hommes qui participent à la première Intifada. Attrapé par l’armée israélienne, il est condamné à une peine de dix ans mais sera libéré au bout de quatre, en 1993, au moment où s’esquissent les accords de Paix. Paradoxalement, c’est en prison que son propre rapport à la violence a évolué.
« On me refusait de voir ma mère détenue dans un autre pénitencier. Ensemble, on a fait une grève de la faim de deux mois. Avec succès. Pour la première fois de ma vie, j’ai obtenu quelque chose grâce à la non-violence », se souvient-il. Il s’intéresse alors aux démarches de Gandhi, de Martin Luther King et de Mandela.
L’idée de créer un lieu où les frères ennemis pourraient se rencontrer est née il y a quatre ans.
« Pour faire la paix, il faut avoir confiance en l’autre. On ne peut pas se respecter si on ne se connaît pas, et on ne se connaît pas si on ne se rencontre pas. »
Ali Abu Awwad a également fondé, avec le rabbin Shaul Judelmen, le mouvement « Roots », dédié spécialement au dialogue avec les colons. Le rabbin, habitué du lieu, joue un rôle important pour les encourager à franchir la porte de la ferme familiale d’Ali.
« De plus en plus, nous vivons dans un contexte sans nuances, avec des blocs en opposition.
Alors que ce projet est, lui, basé sur les nuances », souligne-t-il.
L’initiative n’est pas épargnée par les critiques. Cependant d’Ali n’en a que faire, car il rejette les anciennes approches des activistes de la paix. Qui selon lui, ne font rien avancer.
Ça fait longtemps qu’il ne suffit plus de parler avec la gauche pacifiste israélienne de Tel Aviv.
On est d’accord avec eux. Il faut parler à ceux avec qui on n’est pas d’accord.Ali Abu Awwad
De son point de vue, il est vain de chercher à savoir qui a raison. Cependant il faut accepter qu’il y ait « deux vérités pour un même endroit ».
C’est en tout cas le message qu’il veut faire passer avec Shaul Judelman aux divers groupes, diplomates, membres d’ONG, humanitaires qui viennent visiter la région. Depuis l’ouverture du centre Karama, plus de 35 000 personnes ont participé sous la tonnelle de la sommaire maison à ces échanges et discussion pour un avenir commun et apaisé.
« Je ne vous demande pas de prendre parti pour l’un ou pour l’autre, mais de prendre le parti de trouver une solution», lance-t-il toujours à leur adresse.
Car aucun de nous ne disparaîtra d’ici. Il faut arrêter cette compétition à celui qui souffre le plus. C’est sans fin.
Il faut être responsable, prendre soin de la nouvelle génération, pour qu’elle vive en paix et avec dignité.Ali Abu Awwad
Mathilde Dorcadie
Sommaire du numéro 126 – Janvier 2018 :
- Energies : L’arnaque des offres d’électricité verte
- Transition énergétique : L’autonomie selon Thomas
- SNCF : «oui au train de nuit »
- Livre : Soyons les « chimpanzés du futur » !
- Reportage : Perfusée à la finance, l’île de Jersey vivote
- Infographie : La ville est à nous !
- Les actualités : Fin de la neutralité du Net aux usa / Boues rouges : oublier Hulot…
- Plateau des millevaches, les associations jouent collectif
- Érythrée une entreprise canadienne jugée pour “travail forcée”
- Fiche pratique : 3 bonnes idées pour cette hiver
DOSSIER 4 pages : Tenons les villes !