Les villes candidates à l’organisation des Jeux olympiques se font de plus en plus rares. Au point que le Comité international olympique (CIO) peine désormais à en trouver.
8,8 milliards d’euros. C’est, sans compter les imprévus de dernière minute, ce que devraient coûter les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) de Paris qui auront lieu cet été. C’est donc 2 milliards de plus que ce qui était prévu, un surcoût qui semble inévitable dans l’organisation des JO du XXIe siècle : à Tokyo (2021) comme à Rio (2016), le budget avait également dépassé les prévisions de plus de 2 milliards. Cela semble même être un strict minimum : en 2012, Londres tablait sur des dépenses de 4,8 milliards, elles auront finalement atteint 10,9 milliards. Quant à Pékin, où tout était à construire, n’en parlons pas : le budget final a dépassé les 32 milliards, soit plus de dix fois les prévisions !
La Chine s’en remettra. Pour la Grèce, en revanche, c’est plus compliqué… En 2004, les JO revenaient là où ils ont vu le jour – sous une forme bien différente – il y a 3 000 ans. C’est aussi à Athènes que s’étaient déroulés les premiers Jeux olympiques modernes, en 1896, après avoir été relancés par le baron français Pierre de Coubertin. 2004 marquait donc un retour aux sources ? Géographiquement, oui. Pour le reste, les choses ont bien changé : l’argent et la démesure se sont emparés des Jeux. « La bascule a eu lieu dans les années 1980, avec la vente des droits de retransmission télé, explique Matthieu Llorca, maître de conférences en Économie à l’Université de Bourgogne et auteur d’une étude intitulée « Bénéfices, coûts et héritages des Jeux olympiques ». À partir de là, pour pouvoir vendre ces droits plus cher, il faut que les images soient plus spectaculaires. Et comme une partie de cet argent est reversée aux fédérations sportives, tout le monde est lancé dans cette course au “spectacularisme” et au gigantisme. Il y a donc de plus en plus d’épreuves, de plus en plus de pays qui participent, de plus en plus de moyens techniques… Une énorme machine est lancée. »
La Grèce ruinée
Cela passe notamment par des infrastructures de plus en plus importantes. Les sponsors alignent les billets pour voir leurs marques apparaître sur les écrans du monde entier. Quant aux pays hôtes, ils y trouvent l’occasion de démontrer leur puissance. Le fric devient roi. Le budget des Jeux d’Athènes devait être de 5,3 milliards, il a plus que doublé. La facture finale a ainsi augmenté la dette du pays de 2 à 3 %, ce dont il n’avait assurément pas besoin. À partir de 2008, la Grèce s’enfonce dans la crise, que les Jeux ont lourdement aggravée. « En 2004, la dette publique grecque était déjà énorme, mais au lieu de mettre de l’argent disponible dans l’éducation ou la santé, il a été investi dans les JO… », observe Matthieu Llorca. Vingt ans plus tard, le pays garde des stigmates de cet épisode. Certaines infrastructures créées pour l’occasion ont été revendues au privé pour renflouer les caisses, d’autres sont laissées à l’abandon ou continuent de peser sur les finances publiques. C’est le cas du stade olympique, qui est désormais fermé au public en raison de faiblesses constatées dans la structure métallique de la toiture, installée dans l’urgence avant l’ouverture des Jeux. De nouveaux travaux, donc de nouvelles dépenses, sont à prévoir pour le remettre en état.
Paris unique candidate
Paris devrait échapper à un tel sort, même si les sommes engagées restent énormes, et qu’on ne connaîtra jamais le coût réel de l’opération : les heures supplémentaires payées aux policiers pour surveiller l’événement, par exemple, seront certainement inscrites dans le budget du ministère de l’Intérieur, mais pas dans celui des JOP.
Officiellement, 2 milliards d’euros d’argent public seront dépensés, essentiellement consacrés à la construction et à la rénovation d’ouvrages, financées à 50/50 avec le CIO à travers la Solideo (Société de livraison des ouvrages olympiques). La capitale française fait-elle pour autant une bonne affaire ? « Si cela était si enviable d’organiser les Jeux, pourquoi n’y avait-il plus aucune ville candidate en dehors de Paris ? Plus aucune, insiste le docteur en droit Frédéric Viale dans l’ouvrage collectif Paris JO 2024, Miracle ou mirage ?*. Toronto, Hambourg, Rome, Budapest : les unes après les autres, les villes se sont désistées. Soit après un référendum local (Hambourg), soit du seul fait de la menace de l’organiser (Budapest), soit après des élections municipales ayant placé le sujet au cœur des débats publics (Rome) et à chaque fois parce que le coût a paru effrayant. » Restait Los Angeles, mais l’affaire s’est réglée sur un coin de table du CIO, qui se rendait compte que les candidats se faisaient de plus en plus rares : ce sera donc à Paris en 2024 et à Los Angeles en 2028. Les effusions de joie qui ont éclaté lors de l’annonce du choix du CIO pour 2024 tiennent donc du théâtre… Au moins aura-t-on échappé à ça en apprenant que la France organiserait les JO d’hiver en 2030. La situation était pourtant sensiblement la même : les Alpes françaises représentaient la seule candidature sur laquelle le CIO pouvait vraiment compter. Chez les deux autres prétendants (Suisse et Danemark), un référendum aurait par la suite été organisé pour demander son avis à la population, et l’issue de la consultation aurait vraisemblablement été négative. Le CIO a préféré le modèle français, dans lequel on ne demande pas leur avis aux citoyen·nes !
Qu’aurait donné un référendum ? Nous ne le saurons jamais. À quelques mois de la cérémonie d’ouverture, la propagande, voire l’embrigadement (lire p. 14) visant à faire adhérer la population à « la grande fête du sport » est immense. Pourtant, ces Jeux sont loin de faire l’unanimité. Ils peuvent être contestés pour le gaspillage d’argent public qu’ils génèrent, leurs impacts sociaux (lire p. 13), l’idéologie libérale qu’ils véhiculent, et pour les lois liberticides qu’ils permettent de faire adopter (lire p. 15). Ou encore pour leur impact écologique, une telle réunion mondiale ne pouvant d’aucune manière se prétendre vertueuse pour la planète (lire p. 13).
Nicolas Bérard
*Paris JO 2024, Miracle ou mirage, ouvrage collectif, coordination Frédéric Viale, éd. Libre & Solidaire.