Malgré l’opportunité démographique actuelle qui permettrait de changer rapidement de modèle, le gouvernement laisse les intérêts privés définir le futur de l’agriculture. Les affairistes sont puissants et les citoyens s’accrochent.
La moitié des agriculteurs aujourd’hui en activité seront partis à la retraite dans dix ans. On sait qu’il nous faut prendre un virage agricole, en particulier à cause de l’urgence climatique. Le secteur est en effet responsable de 20 % des émissions de gaz à effet de serre, notamment à cause de sa dépendance aux engrais chimiques. Cultiver bio et paysan, sur des surfaces à taille plus humaine, et remplacer ainsi l’énergie fossile par la main d’œuvre, pour une production, qui plus est, orientée vers la qualité : c’est possible, surtout au moment des reprises d’exploitation.
Le défi démographique du monde agricole est donc une formidable opportunité pour prendre ce virage, encore faut-il le vouloir. Rêvons d’un gouvernement qui s’engage en limitant les exploitations trop grandes, qui incite financièrement à la qualité plutôt qu’à la quantité, qui permette à tous d’acheter des fruits et légumes à des prix rémunérateurs, qui forme les futurs agriculteurs aux bonnes pratiques…
Niel agriculteur
Malheureusement, l’époque n’est pas à l’engagement, mais au désengagement de l’État, et cette politique n’épargne pas l’agriculture. Comme un symbole : l’enseignement agricole public a enregistré la suppression de 300 équivalents temps plein depuis le début du quinquennat de Macron, relève le syndicat Sud Rural-Territoires. Cette politique est bien entendu faite « en conscience » : le vide laissé par l’État ouvre la porte aux capitaux privés dont on croit qu’ils seront plus efficaces – mais dont on est certain qu’ils se moquent bien de l’intérêt général. Comme un symbole, également : en septembre doit ouvrir Hectar. C’est le doux nom donné au « plus grand campus agricole du monde », à Lévis-Saint-Nom, dans les Yvelines. Le projet a déjà reçu 200 000 euros de subvention par la Région Île-de-France. L’école sera néanmoins totalement privée. Le projet est porté par Audrey Bourolleau, quadra, études de commerce, ayant travaillé dans la com, « Marcheuse » convaincue, un moment pressentie pour être ministre de l’agriculture. Et le principal financeur d’Hectar n’est autre que le milliardaire Xavier Niel (Free, Le Monde…), lui aussi très proche du Président. Agissent-ils en mécènes de l’agriculture paysanne ? Pas exactement : l’école a pour but de former aux « compétences entrepreneuriales et à la création de valeur » en s’appuyant sur « l’accélération de solutions innovantes avec notamment un programme d’intelligence artificielle » appliqué à l’agriculture. L’école est « gratuite » : elle permettra d’inculquer aux futurs agriculteurs la croyance en la « tech qui sauve le monde ». Ces derniers s’endetteront pour acheter tracteurs autonomes, drones et autres bidules, qui les pousseront à produire toujours plus… On est très loin d’un virage pour une agriculture paysanne.
Mener la bataille par le bas
Face à l’inaction politique, des citoyens se lancent dans la bataille, « par le bas ». Depuis 2003, le mouvement Terre de liens a bien grandi. Plus d’un millier de bénévoles, 90 salariés, plus de 15 000 actionnaires qui ont permis de racheter 7 000 hectares à ce jour. Les fermes sont ensuite louées à des agriculteurs qui partagent la même vision d’une agriculture paysanne et bio. Ainsi, 376 fermiers et fermières sont aujourd’hui actifs sur des fermes Terre de Liens. Le mouvement ne demande bien entendu qu’à grandir grâce à une implication citoyenne plus importante. Il a lancé récemment la plateforme internet Objectif terres (1) pour mettre en relation les personnes qui sont à la recherche de foncier, celles qui ont un bien agricole à transmettre, mais aussi toutes les personnes qui souhaitent se former ou intégrer un projet agricole existant. Une plateforme de mise en relation : c’est évident, voire d’intérêt général, encore fallait-il le faire.
Fabien Ginisty