Depuis quelques années, des auto-constructeurs et auto-constructrices se lancent dans la fabrication de maisons en A. Rencontres en Dordogne avec un couple en plein chantier et « une vieille hippie » à l’origine de cet engouement en France.
« On espère être hors d’eau et hors d’air d’ici la fin du mois. » Lise et Derrick ont débuté le chantier le 10 avril. Six mois plus tard, leur maison en A a sérieusement pris forme. Mais pour parvenir à ce premier résultat, ils ont dû trimer sévère, se consacrant à temps complet à leur projet, sans compter les heures de boulot. Six mois à dormir dans leur fourgon, à se laver au tuyau d’arrosage, à cuisiner en extérieur. Et ce n’est pas fini… Pourtant, « on n’a jamais regretté notre choix, confirment-ils d’une même voix enthousiaste. Construire sa propre baraque, ça procure plein de fierté, plein de plaisir ! »
Le concept de cette habitation n ’est pas nouveau. Il est né au siècle dernier, aux États-Unis, sous le nom de « a-frame ». Ou même bien avant qu’on l’affuble d’un nom, car le principe de base est, tout simplement, celui d’une cabane : pas de murs, juste une grande charpente en bois, avec un plancher posé sur la barre horizontale du A. La construction repose sur une structure faite de triangles équilatéraux alignés les uns derrière les autres. Même si on est loin de la balade de santé, sa simplicité se prête à l’autoconstruction.
Encore inconnue en France il y a quelques années, la maison en A est en train de susciter un réel engouement. Dans l ’Hexagone, le déclencheur – ou plutôt la « déclencheuse » – de tout ça, c’est Élizabeth, 73 ans, qui a construit la sienne il y a une petite dizaine d ’années.
Lorsque Lise et Derrick cherchaient une habitation originale et personnelle, ils ont découvert l’aventure de cette « vieille hippie », telle qu ’elle se définit, à travers un flm de quelques minutes (1). « On l’a regardé en famille et on s ’est dit “quelle opportunité !”. On aimait l’espace, l’originalité, et on aime faire les choses par nous-mêmes. On a donc pris contact avec la cinéaste, Morgane Launay, qui nous a transmis les coordonnées d’Élizabeth. »
Montrer que c’est possible
Cette dernière leur propose immédiatement de venir la voir chez elle, à Lusignac, en Dordogne. Car toute la démarche de cette architecte est, justement, de faire connaître son expérience, avec l’espoir qu’elle se diffuse. « Franchement, l’architecture, pour moi, dès le départ, c’est vraiment de montrer aux gens qu’on peut être pauvre mais qu’on n’est pas obligés de vivre dans la misère, explique-t-elle. J’ai jamais voulu travailler pour des grosses boites ou des riches. Et j’aurais pu ! » Mais ce n’est pas son truc. « Non, je voulais travailler pour des gens qui n’avaient pas de ronds. » Or, « tu ne peux pas dire aux gens “allez-y, faites-le”, si toi tu ne l’as pas fait. »
Comme diverses associations d’aide aux SDF ont refusé son projet, elle s’est lancée, à 65 ans, dans la construction de son propre logement. Pour montrer que c’était possible. Souvent seule, souvent aidée par des potes aussi, la sexagénaire a manié la visseuse, piloté un mini-tractopelle, planté des dizaines de kilos de clous, dressé peu à peu les triangles de sa future maison, qui lui aura coûté moins de 40 000 euros (2) pour 180 m² habitables… Aujourd’hui, elle partage des « tutos » et des plans pour aider celles et ceux qui veulent se lancer.
Ses aides précieuses, évidemment, ne dispensent ni de calculs ni de sueur. Avant de manipuler la scie et la cloueuse, Derrick et Lise ont passé près d’une année à élaborer des plans, dresser l’inventaire des fournitures, budgéter, passer des commandes… « Il y a toute une phase d ’autoformation. Nous on avait l’expérience de la rénovation, donc on était quand même préparés à passer à l’étape supérieure. Par exemple, on connaissait les outils, on savait déjà les utiliser…»
« C’était mon rêve »
Il a aussi fallu trouver leur lieu d’implantation et obtenir un permis de construire. Finalement, ils ont trouvé un terrain à une centaine de mètres de chez Élizabeth. Ce sera la quatrième construction de ce type dans le lotissement. Mais beaucoup d’autres se montent ailleurs, et beaucoup de ces auto-constructeurs et auto-constructrices partagent leurs expériences, se refilent des conseils, créant ainsi une petite communauté des maisons en A (3). « C’était mon rêve, qu’on fasse des maisons et qu’on s’entraide. Il y a beaucoup de bienveillance, de la gentillesse, une solidarité. C’est très très chouette », savoure Élizabeth.
Pour cette fois, la discussion s’arrête là : Élizabeth doit recevoir une nouvelle personne tentée par l’aventure et qui vient chercher des conseils – c’est un défilé permanent depuis 3 ans. Et comme il se met à pleuvoir, Derrick et Lise doivent filer pour mettre les outils à l’abri. À plus !
Nicolas Bérard
1- Le film est depuis disponible en version longue, sur internet : La maison en A, de Morgane Launay, 2018.
2 – Avec l’augmentation du prix des matériaux, il faut compter environ le double aujourd’hui.
3 – Voir par exemple : instagram.com/les_cloux_font_des_a/