Sur la plateforme Kiwiiz.fr, où « des milliers de voisins se rendent service », Coraline propose son vélo électrique à la location, pour 15 euros par jour. Si je loue le vélo de Coraline au lieu d’en acheter un, je fais une économie. Coraline, elle, complète ses revenus. C’est du gagnant-gagnant ?
Reprenons…
Sur la plateforme Kiwiiz.fr, Coraline propose son vélo électrique à la location, pour 15 euros par jour. Si je loue le vélo de Coraline au lieu d’en acheter un, je fais une économie. Coraline, elle, complète ses revenus. Et puis, pour la société, « les voisins mutualisent leurs objets et favorisent l’usage à la propriété, c’est écolo », précise la plateforme. « Ainsi Kiwiiz nous aide à faire des économies et à compléter nos revenus tout en renforçant nos liens de voisinage dans une démarche équitable et écologique. » En plus, quand je paie Kiwiiz pour la mise en relation, « j’aide Kiwiiz à faire grandir l’entraide ». Bruno Le Calvez, fondateur de Kiwiiz : « Lorsque chaque voisin partagera ses objets et ses savoir-faire, nous serons tous riches des autres. » On dirait du Gandhi.
Voici donc le monde d’après vers lequel on se dirige. C’est la fameuse économie du partage tant vantée par les start-up, et présentée par les médias dominants sans aucun recul. Kiwiiz, Leboncoin, Airbnb, Blablacar… Quelle est la nature de ces plateformes, qui mettent en relation des particuliers pour qu’ils échangent ? Des marchés, ni plus, ni moins. Des marchés entre particuliers. Ce n’est pas rien, à l’échelle historique, de faire en sorte que tout un chacun devienne un marchand dans sa vie quotidienne.
Acheter, on sait faire, mais vendre ou mettre en location ? Cela n’a rien de naturel, cela demande du temps pour intégrer les codes. Cela s’appelle l’acculturation au marché. Nous voilà donc incités à louer nos vélos et nos places de bagnole, par bêtise ou par nécessité… Sinon, pourquoi ne pas les proposer gratuitement ?
L’avant-garde du capitalisme financier
Dans cette « économie du partage », où est passée la propriété ? Paradoxalement, il n’y a pas plus capitaliste que ce modèle soit-disant partageux : tout capital, toute possession y devient potentiellement une source de revenus. Et, tout en haut, qui est propriétaire de ces plateformes ?
Les start-up, pour qui a les moyens d’y investir, rapportent plus que le livret A. Ainsi, c’est l’avant-garde du capitalisme financier que l’on trouve autour des tables des conseils d’administration. Cette avant-garde, ce sont des gens en chair et en os. Des gens, vous l’aurez compris, pour qui faire du covoiturage relèverait d’une expérience exotique. Et pour qui publier une annonce de location sur Airbnb tiendrait de l’absurde : on ne perd pas de temps avec ce genre de broutille. On confie par contre à des sociétés de capital-risque le soin de faire fructifier son capital sonnant et trébuchant. Et entre nous, ça paie un peu plus que de la location de vélo ou d’appart. L’argent appelle l’argent, que voulez-vous ?
Ce que nous voulons ? Et bien justement, parlons-en : nous voulons mutualiser la propriété des objets, ou simplement leur usage, sans pour autant enrichir le capitalisme. Qu’on loue, qu’on prête ou qu’on vende à d’autres particuliers parce qu’on en a besoin, ou parce qu’on trouve ça écolo, qu’importe : personne ne doit se faire de l’argent sur cette relation.
La solution est simple : il suffit que le propriétaire de l’objet, ou de la plateforme, soit un acteur non lucratif. C’est ce que font les bibliothèques d’objets, en train d’essaimer partout en France à la vitesse de l’éclair. Elles sont portées par des associations, aux ressources limitées… Est-ce si compliqué d’imaginer que ce genre de service soit pris en main par des services municipaux, à l’instar des « bibliothèques de livres » ? En 1803, quand Napoléon décréta la création des bibliothèques municipales, c’était pour lutter contre l’analphabétisme, et ça a marché. Alors, qui décrétera la création des objethèques municipales, pour lutter contre la société de marché et tous les maux qu’elle engendre ?
Fabien Ginisty