On se rapproche inexorablement du jour où l’on pourra demander au bibliothécaire : « Est-ce que vous avez un barbecue en stock ? », sans être ridicule. Une étape importante a lieu en ce moment, avec l’essaimage aux six coins de l’Hexagone des bibliothèques d’objets, portées par des associations.
« Je n’ai pas besoin d’une perceuse, mais d’un trou dans le mur. » Cette citation d’un bricoleur anonyme motive actuellement plein de projets en France. Non pas pour faire des trous dans les murs, mais pour créer des bibliothèques d’objets, ou objethèques : des stocks d’objets qui peuvent être empruntés, évitant ainsi leur achat. Comme des bibliothèques, mais avec des perceuses, des lits d’appoint, des barbecues, des broyeurs de végétaux, et j’en passe. On va vous éviter la leçon sur le bien fondé de ces initiatives, dont une dizaine sont concrétisées : on trouve aujourd’hui une bibliothèque d’objets à Montreuil, à Lille, à Toulouse, à Alès, à Paris, à Quimper…
On trouve aussi, depuis longtemps, des ateliers associatifs, qui mettent des outils à la disposition de leurs adhérents. Ou des Systèmes d’échanges locaux (Sel), au sein desquels les particuliers proposent d’échanger leurs biens. Et combien y a-t-il de collectifs, à l’échelle du voisinage, qui animent une « bibliothèque d’objets » sans le savoir ? Bref, la mutualisation d’objets entre particuliers n’est pas quelque chose de nouveau. Pour autant, il y a dans cette nouvelle vague quelque chose de plus qui pourrait en faire un raz-de-marée. Ce « quelque chose » n’est pas un supplément d’âme, mais de technologie : internet, ça vous parle ? Les initiatives actuelles se réclamant des bibliothèques d’objets ont en effet en commun de proposer leur catalogue d’objets en ligne. C’est la force du web : pas besoin de se rendre sur place pour consulter le catalogue, qui peut être actualisé en un clic. Voilà pour le point commun. Pour le reste, « il y a autant de modalités que de bibliothèques », constate Sabrina Boukazzoula, animatrice d’un réseau d’objethèques en France. Elle-même a été à l’initiative de l’objethèque en Tarentaise, en 2021. Le catalogue de l’association compte aujourd’hui 120 objets mis en commun sous forme de dons ou de prêts à l’association. Tout adhérent à jour de sa cotisation de 15 euros peut emprunter l’objet, gratuitement. Il suffit qu’il passe au local de l’association pour le récupérer, et le ramener.
C’est aussi simple que ça. « On nous prête un local de stockage, et le fonctionnement est 100% bénévole, qu’il s’agisse des permanences au local ou de la mise à jour du catalogue », explique Sabrina.
Autre lieu, autre fonctionnement : chez Tipimi, à Lille, l’association accepte les dons, bien entendu, mais elle invite aussi les particuliers à enrichir le catalogue… tout en gardant les objets chez eux. Dans ce cadre, Tipimi fait simplement de la mise en relation. Le prêt s’effectue « de pair à pair » : on s’entend directement avec la personne qui propose l’objet pour savoir où on le récupère, et à quelles conditions. Simple, basique… mais quel serait alors l’intérêt d’un intermédiaire qui stocke les objets, comme en Tarentaise ?
GROSSIR, JUSQU’OÙ ?
« L’intermédiaire agit comme un tiers de confiance : il vérifie que le matériel est rendu propre et en bon état, et il assume le risque de casse. Ça incite les particuliers à mettre leur objet à disposition. » À Toulouse, Fabien Estivals a lancé avec Marie Boillot Ma bibliothèque d’objets, avec l’objectif de créer leur emploi, « et un emploi qui a du sens », précise Fabien. Le fonctionnement de leur plateforme associative, lancée en février, est le même que celui de la bibliothèque en Tarentaise, à deux détails près : les Toulousains proposent les objets non pas au prêt, mais à la location, à très petit prix – compter par exemple 11 euros la perceuse pour la semaine. Autre différence avec la bibliothèque en Tarentaise : la livraison des objets en points-relais, pour éviter aux usagers le déplacement jusqu’au dépôt, tout en donnant de la visibilité au projet. Ainsi, un jour par semaine, Fabien et Marie livrent, en fonction des commandes, une MJC, un centre social, une boutique d’artisanat d’art… et récupèrent les éventuels objets ramenés à l’issue de la location. Leur idée est de multiplier ces points de livraison pour proposer un service pratique à l’échelle de la métropole.
Pour l’heure, la jeune association compte 225 adhérents, mais a bien conscience que le potentiel de développement est énorme à l’échelle d’un bassin de vie de 800 000 habitants. Fabien et Marie bénéficient d’emplois subventionnés pour développer le service… Jusqu’à quand, et pour atteindre quelle taille ? Cette nouvelle vague de mutualisation ne pourrait-elle pas se transformer en ouragan, capable de tirer la barbichette de la propriété individuelle, voire de lui donner une tapette ? « À un moment donné, il faudra que les collectivités s’approprient l’outil pour que ça décolle vraiment », note Sabrina. Des objethèques municipales, c’est pour bientôt ?
Fabien Ginisty