Je voulus mettre la chanson, qui est un moyen de propagande des plus efficaces, au service de la cause des vaincus. » (1) Tirée du recueil des chansons de Jean-Baptiste Clément publié en 1885, cette citation de l’auteur pourrait résumer une part de ce qui anime les chorales militantes, nombreuses dans les luttes à entonner à tue-tête (2) les refrains d’hier et d’aujourd’hui.
Pour évoquer quelques-uns de ces chants plus ou moins connus, tristes, rageurs, optimistes, gouailleurs… qui redonnent aux manifestations un entrain partagé dans la chanson, commençons par La semaine sanglante.
Son refrain galvanisant est calé entre six couplets rappelant les tragiques événements parisiens de 1871 : la répression meurtrière de la Commune de Paris par le gouvernement de Versailles mené par Adolphe Thiers. Du 21 au 28 mai, l’armée régulière arrête et fusille des dizaines de milliers de partisans de la commune insurrectionnelle de Paris, notamment favorables à la démocratie directe, par opposition à la représentative. Présent sur les barricades, Jean-Baptiste Clément, élu au Conseil de la Commune, survit, puis, caché à Paris du 29 mai au 10 août, écrit les paroles de cette chanson qu’il ne publiera qu’après l’amnistie de 1880. Composée sur l’air du « Chant des paysans » de Pierre Dupont, il la dédicacera « aux fusillés de 1871 », qui furent hommes, femmes et enfants.
Le sang des cerises
L’auteur est connu pour une autre chanson d’anthologie, écrite à peine 10 ans plus tôt : Le temps des cerises. Cette chanson d’amour déçu deviendra emblème de la Commune, grâce à ses paroles équivoques et surtout à une autre dédicace que lui donnera J-B Clément a posteriori, et dont a parlé Louise Michel : « Au moment où vont partir leurs derniers coups, une jeune fille venant de la barricade de la rue Saint-Maur arrive, leur offrant ses services : ils voulaient l’éloigner de cet endroit de mort, elle resta malgré eux. […] ; à l’ambulancière de la dernière barricade et de la dernière heure, J.-B. Clément dédia longtemps après la chanson des cerises. Personne ne la revit. » (3)
Les couplets de la Semaine sanglante ne sont pas toujours tous interprétés, notamment ceux évoquant les prostituées, l’Église, le gouvernement de l’époque. Peut-être pour être trop marqués historiquement, par les noms qu’ils évoquent et qui demanderaient quelques notes de bas de page inchantables. Avis à des réhabilitations ou réécritures contemporaines, comme en font souvent l’objet les deux derniers vers : « À quand enfin la République / De la justice et du travail », régulièrement débattus dans les interprétations chorales contemporaines !
Lucie Aubin
1 Cité dans Chansons de la Commune, article de R.Cazals, p. 387-397, dans La commune de 1871 : utopie ou modernité ?, Gilbert Larguier, Jérôme Quaretti (books.openedition.org).
2 Dans cette rubrique, nous utiliserons entre autres, le recueil Tue tête, petit kilo de chansons belles et rebelles, « ouvrage semi-collectif et hors commerce ».
Quelle version écouter ?
Sur l’internet mondial, existent moult reprises de la Semaine sanglante. Parmi celles-ci, une petite surprise polyphonique dénichée sur le site de Zulma Ramirez, chanteuse lyrique et cheffe de chœur. Pour en savoir plus sur le travail de Zulma et sa démarche de partage de chants de lutte, on vous encourage vivement à faire un tour sur sa page Pourquoi.