On ne sait pas encore quel sera le contenu précis de la politique budgétaire du gouvernement en matière de transition écologique en 2024. Mais on peut en avoir une idée en observant la décision du ministère de l’économie et des finances de renoncer à l’augmentation des taxes sur le gazole utilisé par les transports routiers, qu’il avait envisagée auparavant.
Evidemment, c’est une concession au lobby de ce secteur qui faisait valoir que, en France, la taxe sur le gazole routier est de 45 centimes d’euro par litre consommé, plus élevée que dans d’autres pays (33 centimes en Espagne par exemple). Mais il s’agit d’une niche fiscale importante par rapport à la taxation acquittée par les particuliers (59,4 centimes par litre) et qui représente un montant de 1,250 milliard d’euros de manque à gagner par an pour les finances publiques.
Ce renoncement est totalement déconnecté des efforts à accomplir pour mettre en œuvre la transition énergétique. Il retarde encore l’indispensable transformation structurelle du système de transport pour aller vers le fret ferroviaire qui reste plafonné à seulement 9 % des marchandises transportées. Cette faiblesse est d’autant plus grave que, en à peine plus d’une décennie (2006 à 2019), cette part a été divisée par deux, principalement à cause de la libéralisation du secteur organisée au niveau de l’Union européenne et du vieillissement sinon de l’abandon du réseau ferroviaire. La situation est quasiment ubuesque puisque, au cours des cinq dernières années, 800 km de voies ont été fermés en France, tandis que Bruno Le Maire prêche, la main sur le cœur, pour l’amélioration de notre bilan carbone.
Le gouvernement comme l’union européenne nagent en pleine contradiction
Par ce renoncement, le gouvernement ignore l’échéance à laquelle il se heurtera en 2027 quand le projet européen de généraliser une sorte de taxe carbone que devront payer toutes les entreprises de transport verra le jour. En effet, il est prévu d’élargir au transport et au bâtiment le système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre. Mais le gouvernement comme l’Union européenne nagent en pleine contradiction. D’un côté, ils devraient assumer le fait que la transition coûtera cher ; de l’autre, le renchérissement du transport pèsera sur l’inflation, au point que, déjà, il est prévu de distribuer 20 millions de quotas supplémentaires si le prix d’un quota dépasse 45 euros. La bifurcation de l’économie attendra.
S’il fallait une preuve que, en l’absence de réelle volonté politique, les mécanismes de marché ne pouvaient à eux seuls nous conduire vers la transition écologique, on la trouverait dans cet aveuglement : roulez, il n’y a rien à voir !
Jean-Marie Harribey, Économiste atterré