Parmi les difficultés rencontrées par les partisans de la paille : l’imaginaire collectif, qui associe souvent cette ressource à un matériau fragile, inflammable, à faible durabilité. Autant de croyances infondées, qu’il est néanmoins difficile de faire disparaître.
« Et le loup souffla, souffla, souffla… Il souffla si fort… qu’il s’essouffla, mais la maison en paille ne bougea pas. » Bientôt une nouvelle version des Trois petits cochons ? Les partisans de la construction en paille ne seraient pas contre (1). Car depuis des lustres, les humains apprennent dès le plus jeune âge, et sans même s’en rendre compte, que les seules constructions valables sont celles réalisées en briques, ciment ou béton.
La plus vieille trace écrite du conte remonte au XVIIIe siècle. Mais la version véhiculée par Walt Disney est encore plus vacharde pour les matériaux biosourcés. Dans ce dessin animé de 1933, la brique est non seulement la seule à être associée à la solidité, mais aussi aux notions de sérieux et de responsabilité. Rappelez-vous : pendant que les deux premiers petits cochons fabriquent leur maison à la va-vite pour se dépêcher d’aller danser en chantant « pendant que le loup n’y est pas », le troisième, bosseur, prévoyant, adulte, opiniâtre, prend le temps nécessaire pour monter ses murs « en dur ». Il y a très peu de chances pour que tout ça ait été pensé dans ce but, mais le résultat est le même : ce conte, qui traverse les générations, constitue le plus incroyable des outils de propagande pour la brique et le béton et, inversement, contre les constructions en bois et en paille.
Preuve par l’exemple
« Ça a un impact, constate Nicolas Canzian, coordinateur au sein du Réseau français de la construction paille (RFCP). Il est certain que pour développer les matériaux biosourcés, on a un gros travail à faire sur l’imaginaire. » Car dans les contes comme dans le langage, la paille a rarement la part belle. Qui, par exemple, aurait l’envie saugrenue de construire une maison pouvant disparaître en « un feu de paille » ? En réalité, si la paille en vrac est effectivement très inflammable, ce n’est plus du tout le cas une fois qu’elle est compactée et mise en bottes. « On a passé sans aucun problème tous les tests au feu, témoigne Nicolas Canzian. Deux casernes de pompiers ont même été construites en paille ! »
Les rongeurs qui s’attaqueraient aux murs et y creuseraient des galeries ? « La densité des bottes est beaucoup trop élevée, il n’y a jamais eu de problème de rongeurs », balaye le spécialiste. Quant à la question de la durabilité, la centenaire maison Feuillette, à Montargis, constitue une formidable preuve par l’exemple. « Quand on fait visiter la maison, qu’on explique qu’elle a plus de cent ans ans et qu’on montre que la paille des murs est toujours en parfait état, il n’y a plus rien à ajouter, les gens sont forcément convaincus », témoigne Fabienne Pasquier, co-directrice du Centre national de la construction paille (CNCP), qui a pu sauver cette maison historique grâce à un financement participatif (voir p.10).
1800 kilomètres avec une botte sur le dos
« C’est un déchet agricole, local, performant, qui se prête bien à l’autoconstruction… En fait pour moi son intérêt tombe sous le sens. » Kévin Choquert ne tarit pas d’éloges sur ce matériau naturel. Or, il le connaît sous toutes ses coutures : quelques années après avoir obtenu son diplôme d’ingénieur en construction durable, il a suivi une nouvelle formation, cette fois en tant qu’ouvrier en éco-construction. D’un bout à l’autre de la chaîne, il a ainsi pu vérifier les qualités de la paille, aussi bien en termes de confort qu’au niveau écologique. Il aimerait donc le crier sur les toits, refiler le tuyau au plus grand nombre pour reléguer enfin béton, polystyrène, laine de verre et autres polluants aux oubliettes. Mais comme ni lui ni ses collègues ne disposent des moyens financiers des multinationales du BTP, il faut se montrer imaginatif pour mettre au point une communication efficace.
« Il fallait que je trouve une solution pour en faire la promotion, tout en sachant que je ne suis pas commercial pour un sou. Finalement, j’ai allié mes différentes passions que sont le contact humain et la randonnée pour pouvoir en parler. » En 2017, il part donc sur les routes de France avec une botte de 12 kilos accrochée dans le dos, afin de passer l’info au gré des rencontres, fortuites ou organisées. « Mon fil rouge c’était les écoles d’architecture, dans lesquelles j’organisais des conférences. À chaque fois, j’invitais des constructeurs paille locaux, pour établir un premier lien entre eux et les futurs architectes. » Depuis Limoux (Aude), sa botte de pèlerin le mène à Montpellier, Lyon, Grenoble, Clermont, Nantes, Versailles, Paris… Au total, il aura parcouru près de 1800 kilomètres, en « environ 70 étapes de 25 kilomètres ».
Et au mille-huit-centième kilomètre, les commandes de maisons en paille se démultiplièrent ? « En toute honnêteté, cette expérience m’a plutôt rendu un peu pessimiste. Je me suis aperçu que j’évoluais dans un microcosme où 90 % des gens sont emballés par la construction en paille mais qu’en dehors de ce petit milieu, la majorité des gens s’en fout complètement. Ça a été un peu dur à encaisser… » Depuis, il travaille toujours dans la construction écologique, mais s’est mis en retrait de la partie com’. « J’agis plutôt au niveau local. Mais je reste attentif à ce qu’il se passe, et je me réjouis quand je vois que d’autres essayent de faire parler de la paille. »
Conférence gesticulée
Manuel Moreau est de ceux-là. Lui aussi est ingénieur de formation (en aéronautique). « Mais je n’ai jamais fait ingénieur », s’amuse-t-il. Une fois diplômé, c’est dans l’humanitaire qu’il exerce, puis en tant qu’animateur sur l’énergie et l’habitat écologique, ou comme formateur en écomatériaux… Et comme Kévin, il a décidé de mettre toutes ses connaissances et ses talents (jonglage, théâtre…) au service de la paille pour tenter de la développer. En 2014, il est donc parti se former aux conférences gesticulées auprès de Franck Lepage et de la Scop Le Pavé. L’idée de la conférence en gestation est simple : « casser l’imaginaire des Trois petits cochons », dans un spectacle justement intitulé Le Mensonge des trois petits cochons (2).
Selon lui, « on est encore loin de dégommer le grand méchant loup béton. Mais les choses progressent quand même bien depuis une petite dizaine d’années, notamment grâce aux commandes publiques. On a dépassé le stade du beatnik qui s’autoconstruit sa baraque en Ardèche ! » Selon le RFCP, au moins 10 000 bâtiments ont été réalisés en paille depuis les années 1980, dont des écoles, collèges, lycées, bureaux, logements sociaux… Et chaque année le nombre de constructions paille est supérieur à celui de l’année précédente. Qu’est-ce qu’il a à répondre à ça, le petit cochon maçon ?!
Nicolas Bérard
1 – Il existe déjà une version revisitée des 3 petits cochons : Les trois petits cochons et la maison de paille et de bois, Christian Vassie et Eric Heyman, Injini Press, 2008.
2 – Le Mensonge des trois petits cochons, de et par Manuel Moreau, de la compagnie Les frères Lepropre. Cette conférence gesticulée continue à tourner (prochaine date le 13 octobre au salon de l’habitat à Heric (44). Elle peut également être visionnée sur le site de la compagnie :
lesfrereslepropre.weebly.com