Au sein de l’association L’Ouvre Porte, des particuliers s’organisent en « boucles » pour héberger des SDF périodiquement. Le dispositif donne de la souplesse aux hébergeurs tout en garantissant le non-retour à la rue.
Charles m’ouvre la porte. Il loge dans un T2 avec mezzanine. Il est 17 heures ce lundi, mais le trentenaire vient de se lever et commence son week-end : il est boulanger. « Je me lève généralement à 4 heures du matin. Du coup, quand Baba est là, je déjeune dans ma chambre. » Baba est un jeune Malien à qui Charles offre gîte et couvert. « J’avais en tête l’expérience de mon frère, qui proposait de temps en temps à un SDF de venir dormir chez lui. Quand j’ai aménagé à Lyon dans ce grand appart, j’ai voulu faire la même chose, mais en mode plus cadré. » En mai, en cherchant sur Internet, Charles a découvert l’association L’Ouvre Porte. Quelques jours plus tard, Baba dormait sur la mezzanine.
Une semaine sur quatre
Charles est un des quatre accueillants de Baba. Il l’héberge une semaine par mois. L’Ouvre Porte organise ainsi une « boucle » pour chaque sans-abri accueilli. « Les personnes nous sont adressées par des associations comme le Secours populaire, l’Amicale du Nid, le collectif Amie*… qui les accompagnent globalement pour la scolarité, le travail, la santé, les papiers, etc. Nous, on ne s’occupe que de l’hébergement », explique Isabelle, co-référente du dispositif. L’association est née d’un collectif informel de particuliers s’organisant peu à peu « pour que ce soit le plus souple possible pour les accueillants, tout en prenant l’engagement auprès de la personne accueillie qu’il n’y aura pas de retour à la rue et qu’on l’hébergera autant que nécessaire », précise Isabelle. L’Ouvre Porte a vu le jour début 2017, à Lyon. Elle compte aujourd’hui des antennes à Grenoble, Vienne et Villefranche-sur-Saône. Les modalités d’hébergement se sont multipliées : accueil sous forme de boucle, donc, et aussi appartements prêtés pendant les congés, « maison suspendue » mise à disposition par un promoteur, « colocs solidaires » à Grenoble, et « nuits suspendues » dans des auberges de jeunesse et hôtels lyonnais, financées par des dons. En 2022, 21 000 nuitées ont pu être mises en place avec l’un ou l’autre des dispositifs.
« Chacun fait sa vie »
« Au début, Baba était mal à l’aise. Ça va mieux maintenant, on boit un café quand je reviens de la boulangerie, on se raconte notre journée, décrit Charles. Après, on a dix ans d’écart, il y a la barrière de la langue, et il reste très discret. Chacun fait sa vie. L’Ouvre Porte m’avait prévenu : les personnes hébergées ont des parcours et des situations compliquées. Elles ont souvent juste besoin d’un lieu où elles peuvent se reposer, en sécurité. On ne va pas leur reprocher de ne pas faire la conversation, ce n’est pas une rencontre dans le cadre d’un échange interculturel ! »
C’est le collectif Amie qui a sollicité L’Ouvre Porte pour l’hébergement du jeune Malien. Dans la boucle d’accueil, en plus des quatre ménages hébergeurs, on trouve Bruno, le coordinateur, et Marc, le médiateur, tous deux bénévoles, comme Isabelle. Bruno a rencontré Charles et visité son appartement avant de le faire entrer dans la boucle. Il est également chargé des plannings d’hébergement. « Si je dois accueillir une personne de ma famille par exemple alors que j’héberge normalement Baba, il va chercher une solution pour m’arranger », explique Charles. Quant au médiateur, Marc : « Je suis l’interlocuteur de Baba et de Charles s’ils ont des questions, ou s’il y a le moindre problème entre eux. Je suis également en lien avec un référent du collectif Amie qui accompagne Baba, pour être au courant de l’évolution de sa situation. »
« L’asso s’engage,pas l’accueillant »
Voilà quatre mois que Baba a les clés de l’appartement de Charles. Baba a pris ses marques, Charles aussi : « ça bouge un peu mes petites habitudes de trentenaire célibataire, mais c’est pas plus mal, sourit-il. Et avec mes horaires de travail décalés, j’ai une vie plutôt solitaire, donc j’apprécie de croiser Baba. » Conformément à l’esprit de L’Ouvre Porte, Baba sera hébergé le temps qu’il trouve une meilleure solution. « C’est l’association qui s’engage, pas l’accueillant, précise Isabelle. Si Charles veut arrêter d’accueillir Baba pour une raison X ou Y, c’est son choix. Ce sera à L’Ouvre Porte de trouver une autre solution d’hébergement. » La question se posera sûrement en septembre 2024, car Charles a le projet de quitter Lyon.
« Avant le Covid, on était 25 boucles simultanées. Aujourd’hui, on est à douze », constate Isabelle, qui veut rester optimiste. « Ça reprend doucement, mais ça reprend. De nouveaux accueillants franchissent le pas. »
Fabien Ginisty
* Amie : Accueil des mineurs isolés étrangers.
> En savoir plus :
www.louvreporte.org