La désobéissance civile, en particulier celle du syndicalisme, est en procès à Niort. Au cours d’une audience entamée en septembre et qui reprendra fin novembre, les figures médiatisées du mouvement anti-bassines sont accusées d’être les pièces maîtresses des manifestations non autorisées.
Jusqu’où un élu syndical peut-il être poursuivi par la justice pour avoir porté une banderole, harangué la foule, relayé des appels à l’insubordination, apporté main-forte avec son tracteur, dans le cadre de manifestations non autorisées ? Qu’est-ce qui justifie le fichage et la surveillance extrêmes opérés par les enquêteurs contre celles et ceux qui « désobéissent » ? Est-on coupable de ne pas appeler un cortège au repli quand tout dégénère ? Telles sont les questions qui ont commencé à émerger le 8 septembre dernier avec le procès inachevé, au tribunal correctionnel de Niort, de neuf figures du mouvement anti-bassines.
Ce procès, assez inédit par sa forme et sa portée politique, a visé des visages connus de la Confédération paysanne, des Soulèvements de la Terre (SLT) et du collectif Bassines non merci (BNM), ainsi que des élus départementaux de la CGT et de Solidaires. Ces personnalités sont accusées par des irrigants des Deux-Sèvres et Julien Wattebled, procureur de Niort et représentant du ministère public, d’avoir « organisé » des manifestations non déclarées ou interdites par la préfecture, à Sainte-Soline notamment, ces deux dernières années. Certains sont aussi poursuivis pour avoir, lors de ces rassemblements, « commis » ou « participé » à des infractions : vol, tag ou dommages sur du matériel agricole.
Le procureur de Niort, Julien Wattebled, a donné son point de vue sur le rassemblement de Sainte-Soline du 25 mars dernier, férocement réprimé par les forces de l’ordre. Selon lui, lorsque Basile Dutertre, figure des SLT, donne des consignes aux manifestant·es pour se déployer face aux gendarmes mobiles, mégaphone aux lèvres, et qu’il va « au contact » de ceux-ci, ou lorsque Hervé Auguin, co-délégué départemental Solidaires 79, maintient le drapeau de l’union en tête de cortège sous un déluge de feu, ils « participe[nt] activement à l’organisation » de ce rassemblement interdit qui a occasionné « des troubles à l’ordre public et des dégradations ».
« J’ai fait mon job de syndicaliste paysan »
A la barre, les prévenus font bloc. « Ce qui est supposé attester de mon rôle d’organisateur c’est d’avoir simplement pris la parole, crié et chanté des slogans dans un mégaphone dans le fracas des grenades » oppose Basile Dutertre. « Je ne peux pas être considéré comme l’organisateur ou alors il faudra juger les 2 800 syndiqué·es des Deux-Sèvres qui ont décidé en congrès de la participation de la CGT », fait aussi valoir David Bodin, secrétaire général de la CGT-79. « Oui j’étais présent. J’ai fait mon job de syndicaliste paysan. Toutes nos décisions sont prises collectivement, je n’ai pris aucune initiative individuelle », a également défendu Nicolas Girod, ex-porte-parole national de la Confédération paysanne.
« Ce qui est en réalité insupportable aux autorités c’est que des dizaines de milliers de personnes, de leur propre chef, prennent le risque de braver une interdiction de manifestation […] Les enquêtes de gendarmerie nous visant sont faites pour produire une fiction qui permette à tous niveaux de séparer et de condamner », dénonce aussi Benoit Feuillu des SLT, refusant d’endosser le rôle de moteur de ce mouvement anti-bassines qui rassemble 150 organisations et associations autonomes..
Voilà le fond du débat juridique dans lequel trancheront les magistrats. D’emblée d’ailleurs, le juge Eric Duraffour, qui présidait l’audience, a évoqué une éventuelle erreur d’aiguillage de la part de l’accusation.
Le droit de dire non
Car le magistrat n’a pas écarté la possibilité que tout ce petit monde n’ait joué qu’un rôle de « participants » et non de donneurs d’ordre. Une différence de taille car la « participation » en question est sanctionnée par une amende de 135 euros, et non par une peine de prison.
Au-delà, la défense a tenu à rappeler le droit de dire non : « En France, on a une démocratie qui existe parce qu’on a un gouvernement, et en face une société et des corps intermédiaires qui manifestent. » « C’est une liberté constitutionnelle qui est en cause, celle du syndicalisme et de la liberté d’expression », a aussi fait valoir Alice Becker, conseil de la CGT au cours de ce procès. Un procès laborieux justement renvoyé au 28 novembre prochain, du fait de la multitude des faits reprochés et des prévenus.
Marion Briswalter