Pour sauver nos petits poumons et éviter que nous devenions un peuple dépravé de Gaulois somnolents, le gouvernement a interdit la vente et la consommation de fleurs et de feuilles de CBD. Une décision stupéfiante, jugée dare-dare « illégale » par le Conseil d’État.
Des tonnes de graines, des hectares de plantation ? Dans l’Hexagone, c’est pas pour demain, clame haut et fort notre cher Darmanin ! Le 31 décembre, le gouvernement a décrété en loucedé l’interdiction de la vente de fleurs et de feuilles de cannabidiol (CBD) en France. Une décision à contre-courant du droit européen (même les Allemands songent à légaliser le cannabis). Et jugée illégale par les hauts fonctionnaires du Conseil d’État qui, quelques semaines plus tard, ont suspendu provisoirement l’interdiction. Le juge des référés a estimé « qu’il existe un doute sérieux sur la légalité de cette mesure d’interdiction générale et absolue en raison de son caractère disproportionné ».
Plus de chichon pour le réveillon
Mais alors, qui a les mains sales dans toute cette histoire ? La molécule de CBD, non psychotrope, présente dans le chanvre, et possédant des vertus relaxantes et anti-inflammatoires ? Ou la petite clique à Darmanin qui a fait passer la décision un 31 décembre ? Décidément, les politicards adorent tuer le chichon avant le réveillon. Déjà en 1970, les vieux balourds du gouvernement Chaban-Delmas avaient fait passer l’interdiction du cannabis à la même date. Plus de 50 ans après, l’entourloupe est la même.
Du côté des vendeurs, c’est le flou et la cata. Alors que les fleurs et les feuilles représentaient plus de la moitié de leur chiffre d’affaires, certains ont lancé des promos et bradé leur marchandise, de peur de se faire perquisitionner (1). Aujourd’hui, les rayons sont vides.
Et les têtes aussi. « Le chanvre était là avant nous. On n’a même plus le droit de disposer de la nature, notre mère à tous. C’est hallucinant », expliquait Nathalie Pibonson, productrice de chanvre paysan en Drôme provençale (voir L’âdf n°169).
Imposé à la va-vite, le décret d’interdiction était d’un grand vide juridique. Comprenez : on essaie de ne pas être clair pour noyer le poisson et mener tout le monde en bateau. Beaucoup de questions fleurissaient alors pour les consommateurs : le CBD est-il considéré comme un stupéfiant, au même titre que le cannabis psychotrope ? Comment va-t-on punir ceux qui détiennent des fleurs ? En France, près de 10 % de la population consomme du CBD, soit 6 millions de personnes (2). L’interdire, c’est aussi courir le risque de voir tous ces fumeurs partir se fournir sur le marché noir et alimenter les trafics. Les chiffres sont déjà élevés pour le cannabis (3) : malgré une forte répression qui peut grimper à plusieurs mois de prison, la consommation régulière de weed en France est la plus forte d’Europe.
Bref, en la matière, la politique de la France est un fiasco, et la dernière tentative du gouvernement ajoute encore de la confusion. Il faut éplucher le décret officiel (4) et écouter notre bouledogue de l’Intérieur Gérald Darmanin (5) pour se poiler devant les arguments : on justifie cette nouvelle prohibition pour des « motifs d’ordre public », car cela boosterait notre « somnolence ». Ça éviterait aussi à nos flics d’avoir à différencier le cannabis du CBD lors des contrôles, bien que la police suisse dispose déjà de tests fiables depuis des années. Mais aussi et surtout, cette décision aurait pour objectif de protéger notre santé, car « les risques liés à la voie fumée sont établis ». Sur ce coup-là, on est d’accord, fumer c’est mal, la clope tue 75 000 personnes par an. Du coup, on fait quoi, on interdit le tabac ? Peut-être ? Non ? Ben, pourquoi ?
Clément Villaume
1- « CBD la filière s’active face à l’interdiction de la vente de fleurs » Le Monde, 8 janvier 2022.
2- Selon Interchanvres, l’interprofession des producteurs de chanvre.
3- Selon l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT).
4- Disponible sur l’adresse : drogues.gouv.fr/actualites/cbd-nouvel-arrete-paru
5- Sur la matinale de France Inter, le 25 janvier.