Avec un premier cargo à voile à la capacité inégalée – plus de 1000 tonnes de fret – l’entreprise Towt fait un premier pas dans la cour des grands.
En 2019, le transport en mer a totalisé 11 milliards de tonnes de marchandises, soit 5 fois plus qu’en 1960 : près de 100 000 navires et 235 millions de tonnes de combustibles. Ce transport est à l’origine de 3 % des émissions de CO2 au niveau mondial – et les proportions sont bien supérieurs pour les oxydes de soufre et d’azote –, un taux qui pourrait augmenter de moitié d’ici à 2050. L’impact sanitaire sur les zones résidentielles à proximité des grands ports, comme Marseille en France, est désormais connu et étudié.
La France rassemble aujourd’hui 9 développeurs de propulsion par le vent – il y en a une trentaine dans le monde. Beaucoup ont vu le jour au début des années 2010 et concrétisent désormais leurs ambitions. Grain de Sail, une entreprise basée à Morlaix, a ainsi affrété un premier navire-cargo moderne en 2020, d’une capacité de 50 tonnes. Un second sera opérationnel en 2023, pour un tonnage 6 à 7 fois supérieur. Le surcoût sur une tablette de chocolat ainsi transportée est d’une dizaine de centimes, un faible prix pour l’image d’un transport largement décarboné.
Cette valeur ajoutée a d’ailleurs donné l’idée à l’entreprise douarneniste Towt de lancer le label Anemos, sur le modèle de ceux existants pour le commerce biologique et équitable. Une étiquette « transporté à la voile » est collée sur le produit, et le client peut connaître son trajet via une application. Depuis 2011, Towt a transporté un peu plus de 2000 tonnes de marchandises sur de vieux gréements – 19 navires dont le plus grand embarquait 80 tonnes.
Cette entreprise passe aujourd’hui à une toute autre échelle avec un voilier-cargo qui pourra transporter de 1000 à 1100 tonnes de fret en palettes auxquelles s’ajouteront 135 barriques de 225 litres de vin ou spiritueux. Par ailleurs, la qualité de l’air en cale est sans comparaison avec celle d’un cargo conventionnel, un atout pour certains produits gras comme le cacao, qui ont tendance à capter les odeurs.
Jusqu’à 95 % de CO2 en moins
Cette capacité, pertinente pour la clientèle de Towt, est comparable à ce qu’il se faisait de plus grand dans les années 1920-1930 parmi les navires conventionnels. C’est à cette époque, en 1934, que le dernier cargo à voile avait été mis à l’eau, avec 32 marins à bord. Un siècle d’innovations est passé par là : le gréement est aujourd’hui automatisé, et l’équipage se limitera à 7 ou 8 personnes. Le faible tirant d’eau du navire – 6 mètres – lui permet d’échapper à la congestion portuaire du transport conventionnel. La réduction des émissions de CO2 varie entre 80 % – pour la route maritime Le Havre-Abidjan – et 90-95 % pour les routes transocéaniques, les plus avantageuses pour le transport à la voile. Manœuvres et approches portuaires se feront au moteur pour des raisons de sécurité. Pour respecter les délais, le navire basculera sur une marche hybride 3 à 4% du temps, avec un seul des 2 moteurs à bas régime et une consommation de quelques litres à l’heure.
Selon le constructeur Piriou, basé à Concarneau, la livraison du premier cargo aura lieu au 3e trimestre 2023. La coque en acier sera conçue dans le chantier roumain de l’entreprise dès la fin du printemps 2022. Le reste sera réalisé à la maison-mère. Trois autres navires sont encore en option, mais Towt espère compléter sa flotte pour 2026. Si le PDG de l’entreprise, Guillaume Le Grand, reste discret sur le coût de production, il avance un amortissement en 8 ans, soit le tiers de la durée d’exploitation envisagée. Avec un entretien régulier, seules les voiles et le haubanage feront l’objet de changements fréquents. Le navire pourra embarquer, en sus de l’équipage, 12 voyageurs, qui fourniront un revenu complémentaire.
Olivier Favier