Le 15 juin 2021, dans plusieurs endroits du Limousin, la police antiterroriste a arrêté une dizaine de personnes entre la Creuse et la Haute-Vienne. Douze personnes ont été perquisitionnées, six ont été mises en garde à vue dont certaines pendant quatre jours, trois seront mises en examen sous contrôle judiciaire. Les faits instruits dans l’enquête menant à ces arrestations sont, d’une part, des incendies qui ont eu lieu début 2020 à Limoges sur des véhicules Enedis avec des revendications taguées contre le déploiement des compteurs Linky et, d’autre part, début 2021, près de Limoges, l’incendie du relais des Cars sur des émetteurs de tv, téléphone. Les accusations vont de «destructions en bande organisée » à « participation à un groupement formé ou une entente établie en vue de la préparation (…) d’un ou plusieurs crimes ou délits punis de 10 ans d’emprisonnement », soit la fumeuse « association de malfaiteurs ».
L’âge de faire avait déjà publié un article (lire ici) sur cette rocambolesque affaire en janvier 2022. Marie-Claire, qui a dans ce cadre subi 96 heures de garde-à-vue, suivies d’un contrôle judiciaire très strict, nous a fait parvenir son témoignage : « Je voulais partager cette expérience, tellement incroyable pour la plupart des gens que j’ai besoin de l’écrire et de la raconter, de dénoncer encore et encore cet acharnement policiaro-judiciaire sur des personnes dont les opinions politiques dérangent le pouvoir et/ou la logique capitaliste. »
Tu es à la retraite depuis un an. Tu as été toute ta carrière institutrice, impliquée syndicalement et dans la vie locale. Ta sensibilité pour le vivant t’a amenée à t’intéresser à des problématiques rangées sous l’étiquette de l’écologie. Tu chantes dans des chorales qui donnent de la voix à ces problématiques. Le 15 juin 2021, tu as été violemment interpellée chez toi avant d’être mise en examen sous le chef d’inculpation d’association de malfaiteurs. Est-ce que tu peux nous décrire les conditions de ton arrestation ?
Marie-Claire : Le 15 juin 2021 à 6h15 du matin, je dormais encore. Je m’apprêtais à me réveiller et à aller à l’école pour une dernière ligne droite avant ma retraite, puisque c’était trois semaines avant les vacances scolaires et la fin de ma carrière. J’ai entendu des cris dehors. Je me suis levée et ai regardé par la fenêtre. J’ai vu un spectacle ahurissant. Le hameau était rempli de gens en uniformes, surarmés, avec des cagoules. J’ai eu très peur. J’ai compris que c’était chez mon voisin que ça hurlait. Je suis descendue, paniquée, en imaginant le pire. Je suis sortie et dans le même temps des policiers sont arrivés à ma porte. J’ai demandé : « Qu’est-ce qu’il se passe, enfin ? ». On m’a attrapée, rentrée dans la maison, mis les menottes, assise sur mon canapé et je me suis dit : « Ouf ! Ce n’est pas mon voisin. Il n’y a pas eu de malheur en fait ! ». Je crois que la redescente a été salutaire pour moi. Je ne suis pas retournée en panique et mon cerveau s’est déconnecté en fait. Cette situation était tellement surréaliste. Mon voisin avait été, par erreur, braqué au petit matin, sommé de se jeter à terre avec les mains sur la tête. Il s’apprêtait à partir pour une dure journée de tondeur de moutons. Comme il l’a expliqué par la suite, une part de lui est morte ce matin-là où les policiers, si sûrs d’eux, l’ont traumatisé à vie en croyant pénétrer chez moi. De mon côté, je ne comprenais pas du tout ce qu’ils faisaient chez moi, pourquoi il y avait autant de monde, pourquoi ils m’avaient mis les menottes. On m’a lu un chef d’inculpation avec toutes les accusations. Je ne comprenais absolument rien de ce qui se passait. Ce qui m’importait sur le coup c’était de demander : « Vous faites quoi ? Pourquoi vous êtes chez moi ?» et on me répondait « Ouh ! là ! là ! Mais madame si on est là ce n’est pas pour rien ! On sait tout, vous êtes au courant forcément. » Je ne comprenais rien à rien. J’ai demandé :
« Mais vous faites quoi là ?
– On va perquisitionner et vous emmener ».
Alors j’ai dit : « Non, non, là, il faut que j’aille à l’école ! » ce qui a déclenché des éclats de rire dans les uniformes et ils ont continué :
« Vous savez, ce qu’il vous arrive, c’est grave, l’école n’est pas la priorité.
– Oui mais moi je suis directrice d’école et on m’attend ».
Devant mon insistance, ils ont appelé l’inspection de l’éducation nationale pour prévenir. C’était un mardi matin en pleine semaine.
Donc il y a eu la perquisition de la maison qui a duré des heures et des heures. Il fallait que je suive parce que je devais être présente et témoin de ce qu’ils fouillaient, prenaient pour mettre dans les scellés. Tout un protocole complètement dingue qu’on voit dans les films ou qu’on lit dans les livres. C’est à ce moment-là, en observant, que j’ai réalisé qu’il y avait la SDAT (sous direction de l’antiterrorisme), le PSIG d’Aubusson, la police judiciaire. J’ai appris plus tard qu’il y avait des gendarmes qui barraient les routes d’accès au hameau. Cette opération avait commencé très tôt dans la nuit.
Après on m’a emmenée à Limoges, menottée dans le dos pour un voyage de 1h30 avec déviations et erreurs d’itinéraire grâce à l’abus de confiance en un GPS de la part de personnes ne connaissant pas le territoire. Il y avait beaucoup de gens rassemblés dans le hameau et qui étaient apparemment très choqués de ce qu’il m’arrivait. Et ça m’a fait du bien de les voir. Je me suis dit « okay ils m’emmènent à Limoges, très bien, on va suivre, ça va se régler ». Mais pas du tout puisqu’à Limoges je suis restée quatre jours en garde à vue, sous l’ancien régime de l’antiterrorisme qui est maintenant passé dans le droit commun. Et on m’a interrogée longuement. J’ai été accompagnée par un avocat qui m’a beaucoup soutenue et qui m’a demandé de garder le silence. Je ne comprenais rien de ce qu’on me disait et je ne connaissais rien de ce dossier. C’est un droit de garder le silence en garde à vue et je le conseille vivement à tout le monde parce qu’on est dans un état psychologique de choc, on ne sait pas de quoi on nous parle et parce que l’avocat ne connaît pas le dossier lui non plus. Il n’y a que les policiers, en face, qui connaissent le dossier, qui essaient de piéger les gens jusqu’à ce qu’ils s’accusent eux-mêmes. C‘est vraiment un travail de psychologie sur les gens et on n’est pas à armes égales avec eux. On est en état de choc, on n’est pas formé ni pour manipuler les gens ni pour résister à ces stratégies de manipulation.
À la sortie de ma garde à vue, la juge, après avoir entendu un résumé de l’affaire par la police, m’a mise en examen sous contrôle judiciaire pour association de malfaiteurs. C’est-à-dire qu’on a des amis qui sont peut-être impliqués dans des actions, des délits, qui se retrouvent au centre d’une enquête et on peut être accusé d’association de malfaiteurs. Ce mot fait très très peur mais ça peut arriver à tout le monde. C’est, pour reprendre un terme que l’on a beaucoup entendu dans un autre contexte, ce que j’appelle “cas contact d’un cas suspect” !
À l’occasion de cette affaire tu as découvert que tu as fait l’objet, pendant plusieurs mois avant l’arrestation, d’une surveillance policière particulière.
Dans les interrogatoires, pendant les 4 jours de garde à vue, on commence à comprendre pourquoi on est là, quelle est la logique du récit policier. Même si ça paraît délirant, il faut essayer de comprendre leur logique à eux, ce qu’ils se sont racontés pour aller me chercher, moi. Et effectivement, on s’aperçoit qu’on a été surveillé. Et puis après, en ayant accès au dossier – puisqu’en tant que mis en examen on a accès au dossier de l’instruction – il y a une autre violence : on a été suivi, écouté, les courriers éventuellement lus, les domiciles des amis chez qui on était sur écoute, les voitures, les téléphones. Je me suis aperçue que des policiers de la SDAT étaient envoyés à Limoges pour suivre les manifestations. La SDAT – sous direction de l’antiterrorisme –, on voit tout de suite des trucs horribles, les attentats, des massacres. Mais il faut savoir qu’il y a un tiers des effectifs qui est dédié à la surveillance des militants notamment ceux qu’ils disent d’ultragauche et/ou écologistes. Alors les agents de la SDAT suivent des gens en manifestation pour voir leur attitude, leurs liens avec d’autres. Ils font du renseignement. Il s’agit de manifestations autorisées, où je suis allée, pour la défense des retraites, du service public, du climat, où en général je chante. D’ailleurs la récolte était maigre : on n’a rien su me reprocher durant ces manifestations.
Après la garde à vue, tu as pu retourner chez toi, placée sous contrôle judiciaire. De quelles contraintes il s’est agi jusqu’à maintenant ? Tu as fait plusieurs fois appel pour obtenir la levée de ce contrôle. Peux-tu nous dire ce que ça implique de vivre avec ça ?
Quand je suis sortie de garde à vue, j’ai été placée sous un contrôle judiciaire sévère : je ne pouvais pas sortir du département de la Creuse, or j’habite à la frontière de trois départements – Creuse, Corrèze, Haute-Vienne – et quand on habite sur le plateau de Millevaches, la vie sociale, économique, relationnelle, etc. se déroule sur les trois départements. D’ailleurs ma fille et mon petit-fils habitent à 10 km… en Corrèze. Donc je ne pouvais pas aller voir ma fille ni mon petit-fils ; je ne pouvais pas aller au marché à Eymoutiers (tout le plateau y va), au cinéma Art et essai, à la piscine sans chlore de Saint-Léonard-de-Noblat, bref, c’était assez cauchemardesque. J’avais une vision très traumatisante du territoire avec la Creuse et moi tout au bout, tout près du barbelé qui entourait ce département. Je n’avais pas le droit de participer à des manifestations sur la voie publique, je n’avais pas le droit de voir cinq personnes dont deux inculpée·s et trois qui ne le sont pas, qui avaient le droit d’aller où ils voulaient mais je ne pouvais pas avoir de contact avec ces gens qui ne sont d’ailleurs pas dans mon cercle d’amis. Je devais également pointer tous les quinze jours à la gendarmerie de Gentioux. Je crois que je n’ai rien oublié. Ça a duré six mois. On a fait plusieurs demandes avec mes avocats pour lever ce contrôle judiciaire, ça a été refusé à chaque fois. En faisant appel on a obtenu quelques miettes au fur et à mesure. Les quelques miettes, c’était : d’accord vous pouvez aller partout mais pas en Haute-Vienne. Là, l’image de mon territoire s’est transformée en un vaste espace avec un trou à la place de la Haute-Vienne. Je pouvais quand même participer à un concert de chorale, la juge ayant précisé que manifestation publique ne voulait pas dire un concert de chorale dans la rue ou une place publique, ce qui me permettait de continuer à chanter et à pratiquer une activité culturelle que j’adore. Le reste n’avait pas bougé. Puis dernièrement, ça c’est un peu allégé de nouveau : je peux aller partout en France ; avant je pouvais aller à l’étranger et j’avais uniquement la Haute-Vienne d’interdite, maintenant je n’ai plus l’autorisation pour l’étranger ! Ce sont des écritures. Ils ne se rendent pas compte qu’en nous donnant quelque chose ils nous en enlèvent ; ça c’est… la justice ! Et je dois pointer seulement une fois par mois à Gentioux, ce qui tombe bien parce qu’il n’y a pas souvent de fonctionnaires à la gendarmerie et c’est assez difficile de pouvoir signer le contrôle judiciaire. Apparemment la brigade de Gentioux-Pigerolles est « mutualisée » avec Felletin et Royère-de-Vassivière et, comme partout dans le service public, il y a un manque d’effectifs. Donc, théoriquement, il y a une permanence de 14 à 18 heures le mardi mais, souvent, ils sont en opération à l’extérieur, etc. Donc quand j’allais pointer, souvent il n’y avait personne, je devais sonner, être en communication avec Felletin qui me disait « Ah ! C’est pas possible, il faut appeler ». Donc il faut prendre rendez-vous avec les gendarmes pour signer son contrôle judiciaire !
Précisons que nous sommes dans un département rural, que Felletin est à 25 km de Gentioux et qu’ils ont du mal à mettre en place un contrôle judiciaire avec pointage en gendarmerie. Donc situation kafkaïenne…
Souvent, ils sont agacés eux aussi parce qu’ils doivent faire des allers-retours juste pour me faire signer, ils doivent trouver des gendarmes qui sont en opération ailleurs, je dois revenir le lendemain. Il m’est arrivé de mettre trois jours avant d’avoir un rendez-vous pour pouvoir signer.
Un contrôle judiciaire, théoriquement, sert pour les besoins de l’enquête. Donc c’est pour éviter la réitération des faits – avec l’association de malfaiteurs je ne vois pas ce que ça peut être… Il ne faut plus que j’ai d’amis ! Le contrôle judiciaire est aussi mis en place pour éviter une communication entre les inculpés, la préparation d’un récit commun ou la destruction de preuves. Ce sont des interdictions et des obligations qui sont plus ou moins contraignantes pour les personnes. Il faut savoir que le contrôle judiciaire est appliqué à des gens qui n’ont pas forcément une implication énorme dans certains dossiers. On pourrait croire qu’un contrôle judiciaire c’est parce qu’on a des preuves, des éléments vraiment importants pour mettre en examen les gens. En fait non ! Il y a eu un glissement de la Justice depuis quelques années. Dans la logique de « justice », pour être mis en examen, sous contrôle judiciaire, il faudrait que les enquêteurs aient des éléments probants. Maintenant il suffit de faisceaux d’indices concordants, des soupçons de corrélations. C’est très flou.
« Des raisons plausibles de supposer que… »
Exactement ! Le conditionnel est vraiment surexploité. On met en examen, sous contrôle judiciaire voire en détention provisoire, des personnes que les renseignements génér”eux” désignent comme potentiellement « activistes », sans preuves et en foulant aux pieds joyeusement la présomption d’innocence. Quand on croit encore à la Justice, à son fonctionnement, on se dit que les gens placés en détention provisoire ont forcément été pris en flagrant délit ou qu’il y a des preuves. Mais non, pas du tout. Les contrôles judiciaires, c’est pareil, il n’y a pas forcément de preuves. La garde à vue et les arrestations spectaculaires servent éventuellement à recueillir des aveux, faire pression sur les gens, les faire craquer. Une perquisition sert à chercher des preuves, à faire du renseignement, à faire des liens entre les gens, les militants, etc. C’est un peu gratuit, le contrôle judiciaire, en France. Sauf que c’est une atteinte à la liberté des gens, c’est une souffrance psychologique, sans compter les arrestations qui sont d’une violence inouïe.
On peut dire aussi que c’est une forme de punition avant un jugement qui n’interviendra peut-être que dans plusieurs années.
Oui, c’est l’idée. C’est le sentiment qu’on a face à ces mesures arbitraires, injustes. On se dit « ok ils nous détestent ». Ils nous détestent, mais pourquoi ? On essaie de s’opposer à une logique mortifère de ce monde, on essaie de dénoncer des abus sur le vivant, sur les gens, le social, etc. On n’est pas de leur bord. C’est une sorte de punition sans jugement, d’avertissement et de menace sur le seul critère de nos opinions politiques, qu’on n’avait pas cru utile de taire !
Les journaux s’en donnent à cœur joie avec des titres terrifiants et des descriptions de personnes qui sont tout aussi claires que s’ils donnaient leurs noms et prénoms. Encore une violence, médiatique celle-là, tentant de démolir la réputation de personnes pour vendre des journaux en flattant du côté du manche.
Après mon arrestation, le directeur académique m’a suspendue de mes fonctions de directrice d’école et d’enseignante, à titre conservatoire, pour me protéger et protéger le service, a-t-il précisé. Sauf qu’il n’a fait que bafouer la présomption d’innocence à laquelle j’avais droit et m’a volé ma fin de carrière contre mon avis, celui des élus de Gentioux-Pigerolles et des parents d’élèves, qui avaient communiqué à monsieur le directeur académique leur souhait de me voir terminer l’année scolaire dans l’école communale.
C’est une telle violence, sur la violence déjà subie, que je n’ai pas de mots pour décrire mes sentiments d’alors. Une longue période de dépression nerveuse et d’abattement a suivi cette décision cruelle et inhumaine.
En plus de ça, pour te défendre, tu as dû dévoiler une partie de ta vie intime en rendant public le fait que tu avais une relation affective avec une autre personne inculpée dans cette affaire. Comment tu as vécu ça ?
Comme une autre violence, une énième violence. Toute cette affaire n’est que violence de la part de la police et de la justice. En ce qui me concerne, je trouve que c’est un véritable scandale. On n’est plus dans un État de droit. On ne peut plus sérieusement croire ni en la démocratie ni en la justice de ce pays. C’est une orchestration d’injustices, de pressions sur les gens, d’humiliations de la part d’un pouvoir arbitraire, et il faut bien qu’on sente ce poids sur la nuque. Tout est fait pour qu’on le sente bien, à chaque instant. Et effectivement, se faire arrêter chez soi, gardée à vue, mise en examen, placée sous contrôle judiciaire, et après ; qu’est-ce qu’il nous reste pour nous défendre ? Alerter l’opinion publique en disant : « Regardez ce qu’il se passe, ce qu’on nous fait. » Il reste à dévoiler des choses intimes auxquelles ils se sont attaqué, et étaler sa vie. De toute façon, eux, sont allés gratter dans notre vie. Ils ont fouillé partout, alors on le publie aussi parce qu’il faut que les gens comprennent ce qu’il nous est arrivé. C’est difficile de garder dans l’intimité les choses qui ont été violées par la police et la justice, et de demander aux gens de comprendre qu’on est dans une situation terrible. En fait, on est obligé, à un moment, d’expliquer aux gens que dans toutes ces violences et ces injustices, il y a encore une violence et une injustice supplémentaires. Nous avions une relation amoureuse depuis trois ans Anne et moi. Pourquoi la justice a-t-elle utilisé cette information pour faire pression sur nous deux ? Serait-ce de l’homophobie, l’occasion de profiter d’une situation ? Depuis plus de 16 mois, je n’ai pas pu revoir Anne, mise en examen elle aussi. Comment peut-on justifier de séparer deux personnes qui s’aiment, briser leur vie pendant des mois, des années, peut-être sans même leur permettre de s’expliquer sur les faits qui leur sont reprochés ?
Pendant un an, la justice n’a pas eu le temps de nous entendre, et même après un premier interrogatoire, elle continue à nous broyer en silence. Notre relation amoureuse n’est sans doute pas conforme au modèle de la famille nucléaire hétéronormée et peut-être paie-t-on pour ça aussi, en 2022, en France, comme beaucoup de personnes qui pensent et vivent différemment de la norme dominante ?
Nous sommes des victimes parmi tant d’autres de cette machine à élaguer tout ce qui dépasse. Cette souffrance qui nous est infligée depuis trop longtemps maintenant, nous avons décidé de la rendre publique, parce que cette situation n’est plus tenable pour nous. C’est notre intimité que l’on jette en pâture parce qu’on n’a plus le choix, parce qu’on nous la refuse.
Oui c’est, avec toute la retenue que je peux avoir, car malgré ce qu’ils disent – ils m’ont classée dans les ultra je n’sais pas quoi – je suis quand même une personne assez réservée et raisonnable, mais c’est une colère qui est en train de monter par rapport à toute cette injustice, à cette mise en scène, à cette violence. Et jusqu’à quand ? Ça fait seize mois ! Mais quand est-ce qu’on me lâche ?
Et, là, tu as déposé un nouvel appel pour la levée du contrôle judiciaire.
Il sera examiné en chambre de l’instruction le 27 octobre. J’ai été interrogée par la juge. Elle m’a questionnée longuement, plus de deux heures, sur tous les points qui me concernent dans le dossier et qui finalement sont assez peu nombreux. Sur un dossier qui fait presque 8 000 pages, je crois qu’il y avait 43 points, enfin c’est une recherche de mots-clef : il y a 43 mots ou choses qui font penser que peut-être… J’étais au courant ou je connaissais des gens. Donc l’interrogatoire, pour moi, s’était bien déroulé. J’avais pu, à l’aide de mes avocats, m’expliquer et renverser tout le récit policier. Parce que quand on vous dit « Ah ! Vous avez parlé du vent au téléphone, c’était dans le mail de revendication », là j’ai dit à la juge : « Beaucoup de gens parlent du vent, qu’il y en ait ou pas, c’est un mot assez courant. » Et tout à l’avenant. Vraiment, le fil est mince pour faire des raccords entre mes propos, mes blagues et cette affaire. Mais voilà, c’est leur logique, c’est le récit policier, c’est le but. Donc je suis sortie du bureau de la juge assez confiante en me disant, ça y est, on s’est expliqué, c’est bon. On a fait une demande de levée de contrôle judiciaire après cet interrogatoire, demande qui a été refusée. C’est à cette occasion que la juge a allégé un peu le contrôle judiciaire en autorisant la France entière et en me faisant pointer une fois par mois, mais en m’interdisant toujours de manifester et de voir 5 personnes, dont mon amie. Donc on a fait appel, évidemment. Je ne veux pas de miettes. Je veux seulement que la juge prenne le temps de lire ce dossier et qu’elle en conclue ce qu’elle doit en conclure : que je n’ai rien à faire là-dedans. Et tout ce cinéma depuis seize mois, c’est tout bonnement scandaleux.