Depuis son lancement le 7 mars 2021, le média en ligne Flagrant déni publie des enquêtes pour « dévoiler les rouages de l’impunité policière ». Présentation avec Lionel Perrin, l’un des fondateurs.
L’âge de faire : Flagrant déni est né d’un collectif accompagnant les victimes des violences policières. Pourquoi s’est-il transformé en média ?
Lionel Perrin : On a d’abord vu la nécessité d’enquêter sur les plaintes des victimes et sur la façon dont travaillait la justice à ce sujet. Il nous fallait aussi protéger nos sources techniquement et juridiquement. Le seul moyen légal, même si c’est relatif, était d’avoir un statut de média. Aussi, le collectif avait beaucoup de mal à faire reprendre ses informations par la grande presse. Même localement à Lyon, elles n’étaient pas relayées. Il nous fallait développer nos propres canaux.
Quelles difficultés d’accès aux informations rencontrez-vous ?
Il y en a tout le temps ! Le ministère de l’intérieur communique de façon biaisée, a fortiori quand il s’agit de violences policières. La justice travaille théoriquement sous le sceau du secret et dans bien des cas, même les victimes n’ont pas accès à leur propre dossier. Donc pour des tiers c’est encore plus compliqué. Enfin, sur ce sujet éminemment technique notamment judiciairement, les médias sont souvent dépassés, même au niveau national. Par exemple, les grenades à effet de souffle : le ministère de l’intérieur a un discours en partie mensonger et certains médias reprennent des erreurs et des approximations. Ces grenades sont explosives, personne ne le dit alors que c’est le problème. Que proposez-vous aux victimes en tant que média spécialisé ? Jusque-là un soutien juridique, de conseil, d’aide. C’est nécessaire car il y a beaucoup de demandes et les gens sont perdus. Une bonne partie des avocats n’est pas à la hauteur de la tâche, en particulier sur le plan humain par rapport aux infos et conseils qu’ils donnent à leurs clients. Nous préparons un guide avec des infos complètes, claires et accessibles. Ça n’existe pas encore aujourd’hui. Quand on dépose plainte, qu’on fait une enquête sur les causes des blessures ou de mort, c’est une procédure très particulière. En dépit de la technicité due au fait que ce sont des enquêtes sur la police menée par des policiers, il n’y a pas de spécificité comme on pourrait imaginer dans un État démocratique exemplaire. Il y a au contraire des pratiques très bizarroïdes. Le but est d’expliquer tout ça et de donner des clés par rapport à ce qui pourrait se passer.
Les cellules déontologie dont vous parlez dans une série d’articles n’ont-elles justement pas cette vocation à prendre au sérieux cette spécificité ?
Elles font la plupart des enquêtes sur la police mais sont encore moins indépendantes que l’IGPN* : elles sont sous l’autorité du ministère de l’intérieur et en plus, sous celle du directeur départemental de la police. Ce dernier est un personnage clef, notamment parce que c’est lui qui rend compte aux syndicats. Il y a une pression politique énorme alors que les cellules sont responsables de 90 % des enquêtes sur la police. Ces services sont emblématiques de la partialité dans le traitement des enquêtes.
Avec les événements récents, voyez-vous évoluer l’opinion publique sur les violences policières ?
On peut vraiment voir le verre à moitié vide ou à moitié plein. Les violences policières en manifestation, et surtout en manifestation parisienne, sont surmédiatisées par rapport aux autres. On aimerait que le sujet soit plus souvent en haut de la pile, car ces violences touchent chaque jour les quartiers. Les deux tiers des plaintes sont liées aux interpellations et non dans des contextes de maintien de l’ordre. On en profite pour faire passer des messages, mais ça se referme déjà. Par exemple, pour Sainte-Soline [Voir notre reportage de mai] l’instruction de la gendarmerie nationale a déjà rendu son rapport disant que les tirs de LBD en quad, c’est : « Ok circulez y’a rien à voir. » La machine de l’impunité continue de ronronner, mais on fait notre travail en espérant que les dysfonctionnements, en particulier ceux de la justice, soient éclairés. Le leitmotiv très flou du ministère consiste à dire qu’il n’y a pas de violences policières et certains médias reprennent cette rhétorique. Pourtant, on voit de plus en plus d’articles titrer « violences policières ». Dans le cas de Sainte-Soline, beaucoup ont relayé d’abord les violences disproportionnées, les secours empêchés. Un certain nombre de questions sont posées publiquement. Ça ne dit rien sur la façon dont ça va évoluer car on a un gouvernement figé dans une spirale de provocation avec les menaces de dissolution des Soulèvements de la terre ou de baisse des subventions de la Ligue des droits de l’Homme. Malgré ça il y a une visibilisation des problèmes plutôt intéressante. Ça, c’est la vision positive…
Recueilli par Lucie Aubin
* Inspection générale de la police nationale.
Flagrant Déni lance une campagne de dons pour financer son guide à destination des victimes de violences policières. Pour y participer, rdv sur HelloAsso.
Cet entretien est à lire dans le numéro 184 de l’Age de faire, mai 2023.
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