Les travailleurs détachés européens ont vu leur santé gravement menacée par la pandémie. L’Europe en a pris conscience, mais leur situation reste très préoccupante, car leur statut en lui même permet à des employeurs de les exploiter.
En Allemagne, dans le plus grand abattoir d’Europe, près de la ville de Gütersloh, 1300 cas de Covid-19 ont été détectés le 21 juin 2020, parmi les 6 700 employés, « pour la plupart des travailleurs détachés bulgares et roumains, travaillant avec des contrats de sous-traitance, ultraprécaires et logés dans des habitats collectifs souvent vétustes et surpeuplés » (1). Ce cluster, précédé d’autres cas de contamination, a conduit le gouvernement allemand à mettre fin à la sous-traitance dans les abattoirs. Par cette décision, tous les travailleurs des abattoirs ont été assujettis au droit du travail allemand et cotisent à la sécurité sociale allemande.
« Des cas de contamination très importants ont eu lieu aussi dans les abattoirs en France mais aucune décision n’a été prise. On met les travailleurs dans des situations très dangereuses pour leur vie », dénonce Marina Mesure, secrétaire générale du groupe parlementaire France Insoumise au Parlement européen. Face à cette situation très préoccupante dans différents pays européens, l’Europe a fait en juillet une déclaration qui vise à protéger les travailleurs saisonniers.
Rappelés en plein Covid, pour ramasser des fraises
Le Covid a créé d’autres situations très préoccupantes chez cette catégorie de travailleurs. « En France, lors du premier confinement en mars, des chantiers se sont arrêtés, les travailleurs détachés n’avaient pas de rémunération, pas de chômage partiel (car ils ne cotisent pas à la Sécurité Sociale), pas la possibilité de rentrer chez eux par manque de moyens et parce que les frontières étaient fermées. Parfois, ils ont été expulsés de leur logement. C’est catastrophique car ils ont déjà des conditions de vie extrêmement dures mais en pleine période de pandémie rien n’a été mis en place pour protéger ces travailleurs », pointe Marina Mesure.
Et quand en juin, l’agriculture a eu besoin de bras, c’est eux qu’elle a appelés, en plein confinement et alors que les déplacements étaient limités pour éviter la propagation du virus. Des ponts aériens ont été créés pour qu’ils aillent ramasser les fraises et les asperges, en Allemagne, en France, en Italie… « Plus de cent mille travailleurs roumains sont partis […] pour aider à la récolte. On a vu des scènes où des milliers de travailleurs étaient entassés dans l’aéroport de Bucarest, sans masques. C’était très choquant. On les met en danger. »
Un statut qui ouvre la voie à l’exploitation des travailleurs
Le statut du travailleur détaché relève de la directive 1996 révisée en 2018 et stipule qu’il doit bénéficier des mêmes droits que les nationaux sur un même lieu de travail. « En matière de droit du travail, c’est à peu près le droit français qui s’applique. Mais si on va dans le détail, ce n’est pas l’entièreté du droit », nuance Marina Mesure. En effet, les indemnités logement, transport et nourriture dépendent du pays d’origine. Comme elles sont inférieures aux indemnités octroyées en France, les travailleurs doivent se loger ou se nourrir, avec trois fois rien.
En matière de Sécurité sociale, c’est le droit du pays d’origine qui a été maintenu dans le statut du travailleur détaché.
Les fraudes à la Sécurité sociale sont en effet très importantes. Lors de déplacements en Pologne et en Roumanie, l’élue a pu voir comment s’organise le système. Dans certaines villes, les entreprises proposent des contrats de travail slovène, slovaque, polonais… en fonction du montant des cotisations sociales. Les conséquences pour les travailleurs roumains ou polonais qui sont envoyés en France avec un contrat de travail slovène sont terribles : « ça veut dire que leurs cotisations sociales sont payées en Slovénie. Ils ne parlent pas slovène, n’ont jamais mis les pieds en Slovénie. Donc ces travailleurs perdent tous leurs droits. Ils n’iront jamais les réclamer en Slovénie. Au départ ce système a été fait pour la continuité des droits, mais il a été totalement fourvoyé. »
Nicole Gellot
1 – Article de Thomas Wieder dans Lemonde.fr, 22 juin 2020.
2 – Bouygues TP et deux entreprises sous-traitantes, sur le chantier de l’EPR de Flamanville, ont été condamnées le 12 janvier 2021, pour l’emploi illégal d’au moins 460 travailleurs détachés roumains et polonais. La cour de cassation a souligné que « les effets néfastes de cette fraude sociale ont touché, d’une part les salariés concernés, d’autre part les sociétés françaises qui ont subi une concurrence déloyale. »