La loi « sécurité globale » en cours d’examen par les parlementaires autorise très largement l’utilisation des drones policiers. Cette mesure illustre l’arrivée massive des nouvelles technologies dans l’arsenal policier, toujours plus intrusives.
Si la loi « sécurité globale » reste inchangée (1), il faudra certes flouter le visage des policiers, mais aussi s’habituer à être espionné par des drones avec caméras embarquées. La formule n’a malheureusement rien d’exagéré.
Jugez plutôt : l’article 22 relatif aux « caméras aéroportées » légalise l’utilisation du drone dans les manifs, « lorsque les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public » ; dans les stades, les salles de concert, les centres commerciaux, tous les « lieux recevant du public » pour « prévenir les actes de terrorisme » ; au-dessus du périph pour « réguler les flux de transports » ; dans les rues, dans les forêts et sur les plages, en temps de confinement ou pas, bref, dans l’espace public pour « constater des infractions et poursuivre leurs auteurs par la collecte de preuves »… Ambiance ! Logiquement, le Défenseur des droits s’est alarmé d’une proposition qui ne contenait « en aucun cas de garanties suffisantes pour préserver la vie privée ». Les députés de la majorité et de LR n’ont apparemment pas été sensibles à cet avertissement.
Le drone ringardise la caméra fixe
Si la loi « sécurité globale » reste inchangée, donc, le fantasme policier de la surveillance généralisée prendra plus que jamais forme. La forme, notamment, d’un petit objet volant au-dessus de nos têtes. Plus besoin de déployer un policier à chaque angle de rue : la technologie résout le « problème ». Et sur ce point, le drone ringardise totalement la caméra fixe.
Il faut lire le « livre blanc de la sécurité intérieure », publié le 16 novembre, pour prendre la mesure de la fascination qu’exerce cette technologie sur les forces de police : « Systèmes agiles et multi tâches, les drones de sécurité intérieure donnent une mobilité décisive aux technologies. Ils prolongent ainsi l’action des gendarmes, policiers et sapeurs-pompiers au plus près d’une victime à secourir », etc.
Les policiers trépignent d’impatience, et n’ont pas attendu la loi pour se servir des appareils, non pas auprès de « victimes à secourir », mais pour surveiller les infractions au confinement, en particulier à Paris, ce printemps. Leur utilisation a été jugée illégale par le Conseil d’État. Autre signe : en avril, le ministère de l’Intérieur a publié un appel d’offres pour acquérir 650 drones, six mois avant qu’une loi leur donne un « cadre » juridique.
« À la frontière technologique »
Le recours massif aux drones s’insère dans une « vision » développée dans ce « livre blanc de la sécurité intérieure ». Parmi les gadgets technologiques préconisés, il y a donc le drone, mais aussi l’analyse automatisée des réseaux sociaux, les gilets connectés pour les forces de l’ordre, les lunettes ou casques augmentés… et la biométrie.
Sur ce sujet, et pour s’en tenir aux drones et aux caméras embarquées, il faut savoir que nous ne serons pas seulement filmés : les autorités « pourront procéder au traitement des images », qui seront « transmises en temps réel au poste de commandement concerné ». En quoi va consister le « traitement » des images ?
« Il apparaît hautement souhaitable d’expérimenter la reconnaissance faciale dans les espaces publics », recommandent les hauts fonctionnaires qui ont rédigé le livre blanc. Pour l’heure, il ne s’agit que d’une préconisation, mais l’association La Quadrature du Net prévient :
Le livre blanc promet ainsi de « porter le Ministère de l’Intérieur à la frontière technologique »… On se demande bien ce qu’il y a de l’autre côté de cette frontière. Si ce sont les libertés publiques, elles risquent de reculer d’un bond.
Fabien Ginisty
.1 – Le texte a été adopté en première lecture à l’Assemblée le 24 novembre.
2 – Décret de 2016 sur les Titres électroniques sécurisés.
3 – Le fichier de Traitement des antécédents judiciaires qui « contient déjà 8 millions de photos » fiche plus largement près de 19 millions de personnes.
Au sommaire du numéro 157
1 / éDITO La complainte du cueilleur de champignons /
Pour passer un Noël sans Amazon
3 / Les pros du vrac luttent contre leurs déchets cachés
4 / Entretien : avec la tontinette, la propriété c’est du vol !
5 / Bure des visages dans le dossier
6 / Reportage dans le Vaucluse : construire pour se reconstruire
12 /13 / Le jeu de la sorcière
14 / 15 / Actus drones et compagnie : disruption sécuritaire
16 /17 / La lorgnette : Main dans la main avec des réfugiés géorgiens /
Au sénégal, les orpailleurs mordent la poussière
18 / 19 / L’atelier au jardin / Couture & Compagnie / Cuisiner sans gluten / Le coin naturopathie
20 / Fiches pratiques : un sapin de noël sans couper d’arbre / Des couronnes de fêtes
Dossier 5 pages : Tous sorcières !
Les bûchers de sorcières, à la Renaissance, ont accompagné l’instauration du capitalisme et marqué la condition des femmes. Aujourd’hui, ces figures rebelles sont convoquées pour changer notre rapport au monde. Magnétiseuse, herboriste, chamane, druide… Témoignages de femmes et d’hommes qui s’affranchissent des normes pour entrer en relation avec les forces de la nature. Entretien avec la philosophe Isabelle Stengers, qui propose de s’appuyer sur l’expérience des sorcières néo-païennes et activistes pour se désenvoûter de « la sorcellerie capitaliste ».