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Le botaniste Francis Hallé souhaite créer les conditions pour reconstituer une forêt primaire en Europe de l’Ouest. Un projet qui s’étale sur plusieurs siècles et qui suscite un réel enthousiasme.
Bialowieza, dernière forêt primaire ouest-européenne digne de ce nom, est aujourd’hui fortement menacée. Au prétexte de la présence d’insectes xylophages, le gouvernement polonais a en effet prévu d’abattre quelque 180 000 mètres cubes de bois. « En découvrant cette menace, je me suis dis : si c’est foutu, il faut faire une autre forêt primaire en Europe de l’ouest », explique Francis Hallé. Cette idée avait déjà germé il y a quelques années dans la tête du célèbre botaniste. La destruction de cette ultime forêt primaire européenne, et quelques rencontres humaines déterminantes, ont fait le reste : Francis Hallé se lance ainsi dans un projet qui s’étalera sur plusieurs siècles…
Il faut compter 1000 ans pour qu’une forêt primaire se constitue. « Supposez qu’on parte d’une forêt de 400 ans, il faudra six siècles pour reconstituer une forêt primaire. Ce n’est pas un choix, c’est une durée qui nous est imposée par la nature, par les vagues floristiques successives. Personne n’est capable de réduire cette durée », explique-t-il. Encore fallait-il donner corps à cette idée. Et c’est suite à une rencontre a priori anodine que le projet va prendre racine.
« J’ai rencontré Francis Hallé pour la première fois suite à un débat public auquel il participait en 2018, se souvient Éric Fabre, journaliste et consultant. Pendant qu’il me dédicaçait son livre, il m’a expliqué qu’il était nécessaire que des citoyens s’occupent de la question des forêts. Je lui ai répondu qu’il ne fallait pas me dire deux fois ce genre de choses. Il m’a dit : “Moi non plus !”, en me tendant sa carte de visite. »
Quelques mois plus tard, les deux hommes se retrouvent et Éric Fabre propose de lancer des démarches pour ébaucher un projet. « Je n’y connaissait rien, et dans ce cas, je commence par aller sur le terrain, à la rencontre de personnes qui, elles, ont des connaissances précises (scientifiques, juristes, etc.). L’avantage, quand on vient de la part de Francis Hallé, c’est que toutes les portes s’ouvrent. »
« Aucune intervention humaine »
Les premières grandes lignes se dessinent, notamment sur la taille de la zone à protéger.
Francis Hallé détaille :
Le projet se veut européen et donc transfrontalier. Plusieurs zones ont déjà été repérées, à cheval sur la frontière française avec la Belgique, l’Allemagne, la Suisse ou encore l’Espagne. « Nous irons à la rencontre des habitants de ces régions et l’accueil qui sera fait à notre projet sera déterminant, explique Francis Hallé. Car si on veut que ça fonctionne, il faut que les gens du coin y soient favorables. Ça se fera dans une forêt domaniale, car ça doit être un bien commun, pour que les gens d’Europe sachent enfin à quoi ressemblait leur continent avant l’arrivée de l’être humain. »
Aucune intervention humaine ne sera autorisée dans la zone concernée : pas de chasse, bien sûr, pas de cueillette de champignons non plus, pas même le ramassage de bois mort. « Curieusement, c’est un projet qui ne coûte pas cher, puisqu’il s’agit de ne rien faire ! », s’amuse Francis Hallé. Seul un petit tourisme y sera accepté, certainement à travers des promenades sur caillebotis, afin que le sol ne soit pas piétiné.
« Transmettre un vrai patrimoine de nature »
La surprise est venue de la réaction des gens devant ce projet de très, très long terme. « Il y avait un engouement qui était attendu, celui de toutes les personnes déjà impliquées, analyse Éric Fabre. Mais on a aussi eu un engouement, très large, de gens qui, comme moi, ne sont pas forcément prédisposés à cela. La dimension de la durée me frappe. Les gens trouvent ça formidable d’avoir un projet qui nous sorte du jour le jour : on va peut-être arriver à transmettre quelque chose à nos générations futures, un vrai patrimoine de nature. »
Francis Hallé poursuit,
Prochaines échéances ? « J’aimerais qu’on choisisse le site d’ici la fin de l’année, explique le botaniste. Mais avec un projet comme ça, on n’en est pas à un an près ! » D’ici là, le petit millier d’adhérent·es que compte déjà l’association (1) qui porte le projet aura sans doute grimpé. Car Francis Hallé en est persuadé : plus il y aura d’adhérent·es, un « mouvement qui pousse à la roue », plus le projet aura de chances d’aboutir.
Nicolas Bérard
1 – Association Francis Hallé pour la forêt primaire : https://www.foretprimaire-francishalle.org/