Alors que la COP27, la conférence internationale sur le réchauffement climatique, se tient en Égypte du 6 au 18 novembre, L’âge de faire vous propose un petit voyage dans ses archives, à Paris, en 2015. Réchauffement climatique, attentats : à cette actualité anxiogène, nos dirigeants répondaient (déjà !) par la promotion du capitalisme vert et l’État policier. Les citoyens sont priés de rester dans le rang, et ceux qui remettent radicalement en cause le système sont menacés de répression. Pourtant, un foisonnement d’initiatives invente d’autres formes d’économie, de vie quotidienne et politique. Des dizaines de milliers de militants, venus des quatre coins de la France et du monde, se sont retrouvés à Paris à l’occasion de la COP21 pour partager leurs expériences et faire entendre leur voix. Face à un état d’urgence qui entrave la liberté et l’expression démocratique, mais aussi plus largement face à la domination de l’économie libérale, beaucoup ont choisi de désobéir. Reportages à Montreuil et Paris.
Fauteuil sur la tête, chaise sur l’épaule ou à la main, une longue file de femmes et d’hommes de tous les âges se fraie un passage dans une rue de Montreuil, au sud-est de Paris. C’est une procession de 196 sièges, portant chacun une étiquette qui indique leur provenance : « HSBC Bayonne », « BNP Ile-de-France »… Les participants ont tantôt l’air jubilatoire de gamins qui ont réussi un bon coup, tantôt le visage grave de ceux qui soutiennent une cause importante.
Un peu partout en France, mais aussi à Bruxelles et à Genève, ils ont saisi des sièges dans une trentaine d’agences de banques connues pour leur participation à l’évasion fiscale. A la suite de ces braquages à visage découvert, certains d’entre eux ont été convoqués au commissariat – à Bordeaux, une femme a passé 7 heures en garde à vue. « Nous sommes tous des faucheurs de chaises ! » scande la foule autour d’eux. Il y a dans ce cri de l’ironie, de la joie d’être là si nombreux, mais aussi de la détermination et de la colère face à la COP21 officielle, qui prétend résoudre la crise climatique sans remettre en cause le système économique actuel. L’inquiétude face aux dérives de l’état d’urgence est également palpable.
La référence des faucheurs de chaises aux faucheurs d’OGM, l’un des principaux mouvements de désobéissance civile qui ait émergé en France depuis une vingtaine d’années, n’est pas anodine. Pour une grande partie des militants réunis les 5 et 6 décembre à Montreuil pour ce Village mondial des alternatives, il est devenu urgent de désobéir.
« L’argent de la transition existe ! »
Arrivées sur la place de la mairie, les 196 chaises sont disposées en cercles. Des représentants d’associations venus du monde entier s’y assoient et, après une danse de bienvenue au son du violon, Jean-Noël Etcheverry (Txetx), l’un des animateurs de l’association basque Bizi et du mouvement Alternatiba, prend la parole : « L’argent de la transition écologique et sociale existe ! » Anabella Rosemberg, de la Confédération syndicale internationale, et Hindou Oumarou Ibrahim, de l’Association des femmes peules autochtones du Tchad, annoncent les propositions du Sommet des 196 chaises pour récupérer cet argent : lutter contre les paradis fiscaux en échangeant les données bancaires entre pays ; créer un audit citoyen sur les dettes publiques et alléger celles-ci ; taxer les transactions financières et les émissions de CO2 des transports ; cesser de subventionner les énergies fossiles « sans porter préjudice aux plus modestes » ; rendre les banques responsables de leurs investissements devant la société civile…
A quelques mètres de là, une statue de la liberté laisse échapper de la fumée, entourée d’ours polaires et de frêles personnages qui évoquent les populations du Sud. Un arbre à palabres recueille, sur des rubans multicolores, les souhaits climatiques des participants. Une couturière a installé sa caravane dans la rue et donne une seconde vie aux fripes sur sa machine à pédales, pendant que son compagnon entonne pour les passants des chants militants. Circulent des vélos à trois places ou transformés en œuvres d’art éphémères, une voiture à pédales aérodynamique… Les toilettes sèches, plantées devant l’hôtel de ville, alimenteront le compost de l’association Le sens de l’humus. « Fertilisons ! », invite une pancarte sur la porte.
Là une fanfare, ici une improvisation théâtrale ou un défilé, et plus de 200 stands d’associations et de démonstrations de toutes sortes en matière de recyclage, de bricolage alternatif ou encore d’habitat écologique. Aux bénévoles débarqués des quatre coins de la France et du monde se mêlent des habitants de la ville, venus exprès ou qui passaient par là, tout simplement. A l’opposé de l’approche bureaucratique des négociations internationales sur le climat, 30 000 personnes ont ainsi investi les rues, les parcs et les écoles afin de partager des expériences concrètes, citoyennes, pour une transition énergétique à échelle humaine.
Foire au capitalisme vert
Pendant ce temps, au Grand Palais, près des Champs Elysées, l’évènement Solutions COP21, sorte de grande foire au capitalisme vert, se tient sous haute escorte de la gendarmerie et de la police. Une surveillance qui n’a pas empêché les Amis de la Terre, Attac et d’autres ONG de jouer les empêcheurs de communiquer en rond… L’information avait circulé parmi les réseaux écolos : rendez-vous à midi à l’intérieur du Grand Palais, le vendredi 4 décembre, jour d’ouverture de cette exposition publique organisée par quelques collectivités et associations, mais surtout de nombreuses multinationales comme Veolia, Renault, Coca Cola ou Avril-Sofiproteol, toutes désireuses de verdir leur image.
Devant le bâtiment, le public doit faire plus de deux heures de queue puis montrer patte blanche aux forces de l’ordre, qui refusent l’accès aux personnes ayant un look trop ouvertement alternatif. Dans la file d’attente, on se dévisage, l’air de rien, et on guette. Il y a les « vrais » visiteurs, souvent convaincus qu’ils pourront à l’intérieur s’informer sur les solutions au changement climatique – les moyens déployés par Solutions COP21 peuvent faire croire que la manifestation fait partie du programme officiel. Au public se mêlent des militants qui savent qu’il va se passer quelque chose à l’intérieur. Autour de 13h30, un homme est évacué manu militari. Il crie : « Justice climatique ! » Les forces de l’ordre sont de plus en plus nombreuses, des camions de CRS se garent devant le bâtiment. A 14 heures, l’accès au Grand Palais est fermé au public.
A l’intérieur, l’action a démarré : des militants font le tour des stands en dénonçant le « vernis vert » des entreprises, qui prétendent avoir des solutions au réchauffement climatique alors que leurs activités l’accentuent. Ils sont évacués par les policiers, de même que les journalistes qui les suivaient. Devant le Grand Palais, les militants sont également dispersés, mais l’exposition ne rouvrira pas ce jour-là.
Climate Games, « jeu d’action-aventure désobéissant »
Dans la file d’attente, deux hommes d’une trentaine d’années ont distribué des flyers pour Climate Games, le plus grand jeu d’action-aventure désobéissant du monde. Le concept a été expérimenté en 2014 à Amsterdam par GroenFront!, un réseau d’écologistes radicaux des Flandres et des Pays-Bas, et a été développé pour la COP21 par les artistes activistes du Laboratoire d’imagination insurrectionnelle. Climate Games propose, sous forme ludique, des outils pour mettre sur pied des actions créatives de désobéissance civile, et communiquer avec d’autres militants. « Ton objectif est de rejoindre les mouvements mondiaux pour faire pencher le jeu contre le profit en faveur de la vie », dit le tract.
Lisa Giachino
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Article extrait de notre dossier “L’urgence de désobéir”, n°104, janvier 2015