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La fabrication des spiritueux est quasiment monopolisée par l’industrie. Mais de jeunes artisans distillateurs s’installent en nombre. Certains d’entre eux, décidés à redonner du sens au métier, se sont regroupés autour du Manifeste de la gnôle naturelle.
Il n’y a pas si longtemps, tout le monde connaissait, dans les campagnes, l’odeur typique de la fumée de l’alambic, celle de la gnôle en train de se faire, goutte à goutte. « Et puis Pétain a interdit aux particuliers de distiller librement. Le savoir-faire s’est raréfié. Aujourd’hui encore, les spiritueux sont taxés 70 fois plus que le vin ! L’État a massacré le milieu. » Baptiste François s’énerve encore : « L’Europe nous impose de fabriquer certaines préparations comme les vodkas et les gins avec de “l’alcool éthylique agricole à 96 %”, donc distillé de manière industrielle, y compris en bio. On ne sait même pas quelle est la céréale ou le fruit qui constitue la matière première. Allez voir sur le site internet de Tereos (multinationale sucrière, Ndlr) comment c’est fabriqué : c’est dégueulasse ! »
Baptiste François, établi dans le Cantal, est distillateur de métier, comme ses camarades héraultais de l’Atelier du bouilleur. Ces derniers font macérer des baies de genièvre dans une eau de vie produite par leurs soins : « Ceci n’est pas du Gin, mais du Gn », précisent-ils, en guise de clin d’œil à la réglementation européenne…
« Alchimiste, et non chimiste »
Voilà une dizaine d’années que les distillateurs artisanaux, à l’image de Baptiste François et de l’Atelier du bouilleur, relèvent la tête face à l’assommoir industriel. Ce renouveau est « une vague de fond. Sur le millier d’entreprises aujourd’hui référencées, la moitié a émergé ces trois dernières années ». Baptiste, la trentaine, fait partie de cette vague. Sa philosophie : travailler avec le fruit, toujours le fruit, encore le fruit. Pas même de pesticides dans la matière première, de soude ou de peroxyde dans le moult, de sucre et d’arômes synthétiques prêts à l’emploi, de glycérine pour la structure, de colorants artificiels pour la couleur, de colle de poisson pour la clarification… « Les seuls additifs de mes gnôles, ce sont l’eau, et les copains pour les boire. »
Baptiste se revendique « alchimiste, et non chimiste ». Il « transmute » de la matière vivante, mais souvent impropre à la consommation (fruits fermentés, vins et bières invendables), en « eau-de -vie ». Son vieil alambic qui fume depuis 102 ans n’est pas bourré de capteurs :
Mais parfois, les « petits producteurs » cachent bien leur jeu. Parmi cette nouvelle vague d’artisans distillateurs, tout le monde ne partage pas les idéaux de Baptiste. Par choix ou nécessité, beaucoup travaillent notamment à partir d’alcool industriel, « dix fois moins cher à acheter » que ce que coûte une production artisanale. « Avec L’atelier du bouilleur et un troisième collègue (1), on en avait marre de faire des salons des vins naturels dans lesquels tous les spiritueux étaient, eux aussi, présentés comme naturels. Alors on a rédigé ce manifeste de la gnôle naturelle. »
Rapport humain
« L’artisanat n’est pas un gage de qualité ni d’authenticité. Un artisan peut travailler de ses mains des plantes importées ou des matières industrielles voire chimiques. » Ce sont les premières lignes du manifeste, écrites il y a deux ans. Aujourd’hui, une cinquantaine de distillateurs ont signé ce texte, qui n’est pas le cahier des charges d’un énième label, mais un engagement moral à travailler sans aucun intrant, et dans une certaine qualité de rapport humain : « Nous achetons localement auprès de producteurs dont nous connaissons les méthodes de travail et les pratiques sociales », lit-on par exemple. De quoi se démarquer de la démesure industrielle, qui altère hommes et nature. Dans le monde de la distillation comme ailleurs, « la dose fait le poison », rappellent les signataires. La formule est de Paracelse, célèbre alchimiste…
Fabien Ginisty
1 – David Mimoun, d’Alcools vivant, établi en Charente.








