Avant d’entamer la discussion, Laurent (1) sort un dépliant du ministère de l’Intérieur sur les différentes missions des CRS (Compagnie républicaine de sécurité) (2).
Histoire de rappeler que le casque, le bouclier et la matraque ne sont pas ses seuls outils de travail… Mais on va quand même lui poser la question…
L’âdf : Pourquoi êtes-vous devenu CRS ?
Laurent : J’aurais pu faire carrière dans l’armée. Mais j’ai un bon camarade qui est parti en ex-Yougoslavie, il y a eu des accrochages, ils ont tué des gens… c’était la guerre.
Quand il est rentré, il m’a raconté avec force détails parce qu’il avait besoin d’en parler à quelqu’un. J’avais 22-23 ans, et ça m’a posé un problème existentiel : est-ce que je pourrais moi aussi partir et tuer des gens ?
Pour rester dans l’ambiance militaire sans avoir à faire la guerre, j’ai choisi les CRS. Pour moi, ce n’est pas pareil, je serais moins gêné d’utiliser une arme car si je suis amené à blesser ou tuer quelqu’un, ce sera vraiment pour sauver la vie de quelqu’un d’autre – dans un bon but.
Comment expliquer les violences policières lors des manifestations depuis plus d’un an ?
L. : Le gouvernement a instrumentalisé le maintien de l’ordre pour décrédibiliser le mouvement social ! Les ordres étaient soit absents, soit absurdes. La fatigue, la soif, la pression peuvent aussi amener les fonctionnaires de police à vriller et à faire usage de la force de façon non réglementaire.
Mais il existe des moyens matériels, comme des grilles qui barrent l’accès à certaines rues, pour éviter que les policiers soient en contact avec les manifestants. Ces moyens ont été très peu utilisés ces derniers temps. Pourquoi, dans un contexte social compliqué, a-t-on préféré les mettre en contact et exercer une pression constante sur les manifestants ?
Le manque d’effectifs fait aussi que l’on envoie en maintien de l’ordre des personnes qui ne sont pas formées pour ça. Quand il y a un incident, on pointe toujours le lampiste, celui qui a fait le geste.
Mais il faut s’attaquer au donneur d’ordre : qui a ordonné à un jeune pas préparé d’aller en maintien de l’ordre sur une manifestation ? Lui aussi, on devrait publier son nom et sa photo dans la presse ! Mais non, ceux d’en haut, on les laisse tranquilles.
Pourquoi vous laissez-vous instrumentaliser si les ordres ne sont plus donnés dans un « bon but » ?
L. : L’analyse, on la fait après-coup. Pour comprendre, il faut observer ce qu’il se passe, discuter avec les collègues qui ont vu la même chose ailleurs…
Sur le coup, tu te fais attaquer, tu n’es pas la même personne. Il faut être sur la corde raide tout le temps. C’est une période de tension extrême durant laquelle tu ne réfléchis plus. Et puis, une compagnie de CRS sur le terrain, c’est 80 bonhommes face à 300, 3 000 personnes…
Tu te sens toujours en infériorité.
On n’entend pas trop vos organisations syndicales critiquer cette instrumentalisation…
L. : Chez les CRS, on est syndiqués à près de 60 % ! Mais les syndicats majoritaires sont corrompus jusqu’à la moelle. Ils se contentent de petites revendications salariales, car les grands responsables syndicaux ont trempé la main jusqu’au coude dans le pot de confiture : une décoration par ci, un avancement non justifié par là, un recasage politique…
C’est comme ça que le ministère fait pression sur eux. Et si les policiers sont très syndiqués, c’est parce qu’ils en ont besoin pour obtenir la mutation ou le stage espérés. Nos gros syndicats se tirent la bourre avec les avantages qu’ils peuvent apporter, c’est comme une fraternité. Les officiers, commissaires et préfets ont leurs fraternités maçonniques, et le policier de base a son syndicat, c’est comme sa petite loge, sa sphère d’influence à lui, à son petit niveau.
Et puis, dans la police comme dans l’armée, il ne faut pas parler des choses qui ne vont pas.
Pourquoi les policiers impliqués dans des bavures, qui ont tué des personnes sans être en état de légitime défense, bénéficient-ils souvent d’une certaine indulgence, voire d’une impunité ?
L. : Nous travaillons en général dans des conditions très dures, sans reconnaissance… si, en plus, il y avait des sanctions exemplaires, ça risquerait d’exploser.
Or, qui protège le gouvernement et les élites de la grogne qui monte ? Comment feraient-ils si les « sans-dents » venaient vraiment taper à leurs fenêtres ? Ils ont trop besoin de nous ! Et ça les arrange bien qu’il n’y ait pas de contact entre la population et la police. Si on s’alliait, ils seraient bien embêtés !
Recueilli par LG
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1 – Le prénom a été modifié.
2 – Maintien de l’ordre et sécurité sur les manifestations politiques, syndicales, sportives et culturelles ; secours ; protection rapprochée ; lutte contre les « violences urbaines » et l’insécurité routière.
Au sommaire du numéro 119 – Mai 2017 :
- EDITO : Un petit shoot de progrès ?
- Pays basque : Les non-violents imposent la paix
- Auto-construction à l’école de l’autonomie énergétique
- Entretien : Déchets : des élus à la ramasse
- Littérature : Voyage dans le futur d’hier
- Reportages :Guyane : ruée sur l’or et crise sociale
- Infographie : Le calendrier du potager
- Les actualités : Paris : Des JO écolo ?
- La Lorgnette : Dialogue avec la police
- Abattoirs : La violence des cadences
- Fiche pratique : Une fontaine qui rend l’eau potable