À 73 ans, cette militante a subi une perquisition, comme une centaine d’autres personnes qui avaient commandé un médicament illégal dans le but de s’euthanasier. Elle a longuement expliqué aux gendarmes pourquoi il est si important pour elle de mourir dignement.
Un article publié en décembre 2019, dans notre numéro 147.
Le 15 octobre, à 6 heures du matin, Isabelle décide d’ignorer le coup de sonnette intempestif qui l’a tirée du sommeil. Au deuxième coup, elle se lève et sort sur le palier, bien décidée à dire deux mots aux voisins qui ont oublié leurs clés. L’ascenseur s’ouvre… et elle se retrouve nez à nez avec deux gendarmes, qui annoncent : « Nous avons un mandat de perquisition, car vous avez acheté du pentobarbital », un puissant médicament utilisé pour l’euthanasie dans les pays où elle est autorisée, mais interdit en France sauf pour un usage vétérinaire. Au même moment, dans toute la France, une centaine d’autres investigations avaient lieu chez des adhérents de l’association Ultime Liberté, également perquisitionnée.
Isabelle a tout de suite reconnu qu’elle avait commandé ce produit au Mexique, via une adresse mail qui lui avait été communiquée, afin de pouvoir mettre fin à sa vie le jour où elle en ressentirait la nécessité. « Ils l’ont trouvé facilement, et ils ont perquisitionné mon ordinateur où tout est bien rangé. J’ai un dossier « fin de vie » avec les documents des trois associations auxquelles je suis adhérente depuis des années : ADMD (Association pour le droit à mourir dans la dignité, Ndlr), Le choix, et Ultime liberté. Ils ont trouvé aussi mes lettres à mes enfants, dans lesquelles je leur explique mon point de vue. »
« Rester content jusqu’au bout »
A 73 ans, cette institutrice à la retraite pense que l’on doit pouvoir « rester content jusqu’au bout de la vie qu’on a eue. Je veux partir en gardant un certain respect de moi-même et en ayant pu dire au-revoir. Ne plus pouvoir parler, ne plus reconnaître les gens autour de soi, être enfermé dans un lit… On n’en a pas envie, et ce n’est pas l’image que l’on veut laisser ». Isabelle a découvert l’ADMD à l’adolescence. Alors qu’ils étaient encore jeunes, ses parents avaient décidé d’adhérer à l’association et lui en avaient parlé. « Ils m’ont installée dans un esprit où l’on ne cultive pas le déni de la mort. Plus j’avance en âge, et plus je me dis que j’y vais », dit-elle.
À chaque fois qu’elle en a l’occasion, elle informe les personnes qu’elle croise sur la loi Leonetti, qui permet de rédiger une directive anticipée sur la fin de vie afin de refuser l’acharnement thérapeutique et de demander que soit administré un médicament qui soulage la douleur, même si celui-ci doit abréger la vie. « Mais cette loi ne suffit pas : c’est le corps médical qui décide si vous êtes ou pas en fin de vie », estime Isabelle. Et elle ne concerne que les personnes dont l’état est déjà très dégradé.
« Je n’avais pas 18 ans quand j’ai avorté illégalement »
« Alors oui, je vais aux réunions publiques des associations, je signe des pétitions… Mais je veux aller plus loin. On est un certain nombre, en France, à essayer d’avoir un produit qui peut nous permettre de mourir sans souffrir. Bien-sûr que je sais que c’est illégal ! Mais c’est tout un point de vue sur la vie et sur la mort qui est à changer. » Cela, elle l’a expliqué à ses enfants, et également aux gendarmes, qui l’ont entendue deux heures à son domicile, puis pendant cinq heures au commissariat. « Ma dernière militance, c’est un peu celle-là. J’ai été syndicaliste et militante pour l’avortement. Je n’avais pas 18 ans quand j’ai avorté. Ben oui, je l’ai fait alors que c’était illégal ! C’est par des actions illégales qu’on a obtenu le droit à l’avortement ! »
La discussion avec les gendarmes a été « cordiale », assure Isabelle. Face aux soupçons sur l’existence d’un réseau qui revendrait le pentobarbital ou le « ferait boire à des vieux riches », elle s’est montrée formelle : « Je l’ai acheté pour moi, et pour personne d’autre. Je n’ai pas envie de convaincre qui que ce soit, les gens font ce qu’ils veulent. Quand on parle de la fin de vie avec des amies de mon âge, je leur indique des sites pour qu’elles se renseignent, c’est tout. »
A 650 euros la dose létale, le barbiturique est un investissement, qui doit s’avérer rentable pour quelques intermédiaires. « Mais c’est moins cher que d’aller en Suisse, et on peut mourir chez soi, souligne Isabelle. Je me sentais un peu audacieuse de l’avoir acheté, et ça me rassurait de l’avoir dans un coin de mon appartement. » En quittant le commissariat, l’ancienne institutrice a essayé de convaincre les gendarmes de lui rendre le médicament, en vain. « Je leur ai dit que j’en chercherai à nouveau, dès que je pourrai. »
Lisa Giachino