Dans notre nouvelle chronique, intitulée “Mots-dits”, nous passons derrière un mot ou une expression utilisée par le pouvoir en place pour tenter d’en déjouer les pièges. Ce mois-ci, c’est le terme de “dialogue social” qu’on décrypte…
Interrogé le 12 octobre sur le mouvement de grève des salarié·es de chez Total, le président de la République n’a eu de cesse d’affirmer qu’il misait sur le « dialogue social » pour sortir de la crise des carburants. Comment s’en offusquer ? On ne peut que difficilement s’opposer au « dialogue » de manière générale, et encore moins lorsqu’il est « social »… Dans le livre La guerre des mots, Selim Derkaoui et Nicolas Framont expliquent pourtant que « le dialogue social est l’alibi ultime de l’ordre dominant, celui qui permet à ses partisans d’affirmer que tout reste ouvert, tout est sujet à consultation et à grand débats, et qu’il n’y a donc pas matière à s’énerver. »
Pour les syndicats – désormais affublés du terme de « partenaires » sociaux, pour mieux nier le rapport de force qu’ils sont censés incarner –, le dialogue social constitue en effet une redoutable nasse. Ils y entrent d’abord pour négocier, et sans trop avoir le choix, car le rejeter ferait d’eux des gens fermés à la discussion, ce qui les exclurait illico du camp des « gens raisonnables ». Ensuite, deux solutions. Soit, comme la CFDT, on trouve un compromis avec les dirigeants, et on ressort de là sous les applaudissements des médias et du gouvernement, qui ne manqueront pas de saluer le sens de la responsabilité des signataires de l’accord.
Soit les négociations achoppent. Et alors, que reste-t-il comme solution aux salarié·es, sinon de se tourner vers un autre mode d’action, comme la grève ? S’ils se lancent là-dedans, la sanction tombe immédiatement : ils « refusent le dialogue social », et préfèrent « prendre la population en otage ». Alors que le patron est perçu comme restant sagement assis à la table des négociations.
LA CGT RENDUE RESPONSABLE DE LA CRISE
Pourtant, d’évidence, si ses ouvrier·es ne cessent pas le travail, il peut bien faire durer les négociations pendant 10 ans avant d’accorder la moindre augmentation de salaire : pour lui, c’est tout bénef ! N’empêche : dans les esprits se diffuse l’idée que les syndicats ont abandonné le « dialogue social », alors que leur direction y reste ouverte.
Emmanuel Macron a d’ailleurs, finalement et sans surprise, rendu la CGT responsable de la crise, en faisant le vœu que ce syndicat « permette au pays de fonctionner ». Le PDG de Total Patrick Pouyanné applaudit, lui qui s’est octroyé une augmentation de salaire de 50 % sans avoir à passer par la case « dialogue social ».
Nicolas Bérard