Enedis et le gouvernement ont décidé de ne plus faire fonctionner les chauffe-eau entre midi et deux. Un premier pas vers une gestion beaucoup plus intrusive de la consommation domestique ?
Couper les chauffe-eau entre midi et quatorze heures, c’est la nouvelle décision du gouvernement pour passer les pics électriques de l’hiver. L’arrêté, signé le 22 septembre par la ministre de la transition énergétique, concerne tous les usager·es qui bénéficient d’heures creuses méridiennes en plus des heures creuses nocturnes. Et bien sûr, nous assure Enedis, cela ne devrait pas déranger les abonné·es concerné·es, et cela est rendu possible grâce à son formidable compteur Linky.
Un salarié de la boîte le reconnaît : « Pour beaucoup, ça pourrait ne pas trop se sentir. » Mais il nuance : « Selon la taille du cumulus, dans une famille de quatre personnes, si trois prennent leur douche le matin et que le quatrième veut en prendre une le soir, comme le chauffe-eau n’aura pas tourné à la mi-journée, il la prendra à l’eau froide ! » Ou alors, il devra mettre son appareil en marche forcée en rentrant chez lui après le travail, ce qui signifie qu’il fonctionnera en plein pendant le pic électrique du soir. La mesure pourrait-elle avoir l’effet inverse de celui qui est recherché ?
Et demain, les lave-linge ?
L’autre interrogation autour de cette décision, c’est la communication qui est faite autour du Linky : à en croire Enedis, une telle mesure n’aurait pas été possible sans son précieux compteur communiquant. C’est faux : les chauffe-eau des bénéficiaires de systèmes d’heures pleines/heures creuses sont équipés de contacteurs, ce qui permet déjà, avec ou sans Linky, de les déclencher à distance. Pourtant, Enedis persiste en affirmant que « la mise en place de cet éco-geste, qui concerne 4,3 millions de clients en France, s’appuie sur le compteur Linky ». L’idée serait-elle d’associer, artificiellement, Linky à des mesures de « sobriété », d’en faire un héros capable de nous sauver du black-out ? Selon notre source chez Enedis, « cette opération est un peu un test, pour voir comment on va réagir en découvrant qu’ils peuvent prendre la main sur nos consommations domestiques. Et en même temps, ça nous habitue à ce genre de pratiques… » Aujourd’hui le chauffe-eau, demain les radiateurs et le lave-linge ? Une intrusion qui, elle, est bel et bien envisageable à travers le Linky.
À travers cette communication, Enedis change en tout cas le paradigme de l’éco-geste : celui-ci ne correspond plus aux petits gestes du quotidien réalisés à l’initiative de chacun·e, mais est imposé, à distance, par le distributeur, sur ordre du gouvernement. Qu’on se rassure, toutefois, Enedis nous précise que cette mesure est limitée dans le temps, que c’est juste pour « cet hiver, entre le 15 octobre et le 15 avril ». On aura connu des hivers moins longs… Qu’importe, montrons-nous résilient·es (lire pp. 16 et 17), que diable !, et continuons à chanter sous la douche… même froide !
Nicolas Bérard