Écoutez cet article, lu par Benjamin Huet :
Le secteur aérien continue de se développer, avec un nombre d’avions qui pourrait doubler au cours des vingt prochaines années. Quant à l’écologie, il faudrait se laisser bercer de belles promesses.
Pour limiter le réchauffement climatique à 1,5° C, « nous allons toujours à l’opposé de ce qui est requis par l’accord de Paris », a fait savoir fin juin la présidente de l’Energy Institute, Juliet Davenport. Son organisation venait de publier un nouveau rapport faisant état des émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’énergie. Sans grande surprise, on apprenait que l’année 2022 établissait un nouveau record. Mais alors, quid des renouvelables, de la transition, des grands accords internationaux ? Simple poudre aux yeux ? Nous pourrions le résumer comme ça en observant l’évolution de la macroéconomie qui, justement, n’évolue pas beaucoup, ou en tout cas pas dans le bon sens : pour résumer, il s’agit toujours de produire plus pour vendre plus. Quant à l’écologie, elle n’est souvent brandie que comme un faire-valoir, ou un trompe-l’œil.
Adaptation du discours
Le Bourget et son Salon international de l’aéronautique et de l’espace pourrait servir d’allégorie à ce constat. La 54e édition de cet événement – dont la première a eu lieu en 1909 ! – s’est tenue du 19 au 25 juin. Durant toute la semaine, 2 500 exposants ont présenté leurs camelotes volantes à quelque 300 000 visiteurs, dont une petite moitié de professionnels. Et ces derniers sont repartis particulièrement satisfaits de ce cru 2023 : les constructeurs, Airbus, Boeing et Safran en tête, crouleraient sous les commandes. Les compagnies Turkish Airlines et Air India auraient passé des commandes record de plusieurs centaines de zincs chacune. Car le tourisme international se développe à partir de pays dont la population n’avait jusque-là pas accès à de tels loisirs. Si on peut se réjouir de voir le niveau de vie d’une partie de la population mondiale augmenter, cela risque de se traduire par une explosion du transport aérien. À ce rythme, le nombre d’avions en circulation pourrait quasiment doubler au cours des vingt prochaines années, pour atteindre 47 000 engins.
Alors que les forêts brûlent au Canada, que le cycle de l’eau est très visiblement perturbé dans l’Hexagone et que les records de chaleur se succèdent, ce qui est qualifié de « très bons résultats » par les professionnels du secteur aérien fait évidemment désordre. Ces derniers adaptent donc leur discours – plutôt que leurs pratiques. Par exemple, ils minimisent d’emblée l’impact de l’avion dans les émissions de gaz à effet de serre, puisqu’il en représenterait moins de 3 % à l’échelle mondiale. Certains laissent de plus entendre que les émissions du secteur seraient déjà en diminution ! C’est notamment le cas… du ministère de l’environnement, qui se réjouit de constater que, « entre 2000 et 2020, les émissions du transport aérien ont diminué de 49,3 % pour un nombre de passagers-équivalents-kilomètres-transportés (PKTeq) en diminution de 31,9 %, soit une diminution de 25,6 % des émissions unitaires (émissions par passager-équivalent-km transporté) » (1). Il faudrait s’arrêter là dans la lecture des informations du ministère. Car en poursuivant jusqu’en bas de la page, on comprend qu’on ne doit cette bonne nouvelle qu’au virus du Covid qui a effectivement fait baisser drastiquement les voyages en avion, avant qu’ils ne remontent en flèche dès la crise passée. Quant à la baisse des émissions par unité transportée – autrement dit la baisse de la consommation moyenne des gros coucous –, elle est réelle, mais loin de compenser la hausse continuelle – hors Covid – du nombre de vols effectués chaque année.
La blague de l’ avion propre
Dans son livre Voitures, vrai ou fake ? (2), Aurélien Bigo, chercheur spécialisé dans la transition énergétique, résume la problématique : « En 2018, un kilomètre en avion pour un passager demandait environ cinq fois moins d’énergie qu’en 1973. Pourtant, au niveau mondial, les émissions ont été multipliées par 2,8 sur la même période. La raison ? Le trafic aérien a été multiplié par treize en quarante-cinq ans. » L’Association internationale du transport aérien reconnaît d’ailleurs que les émissions de CO2 ont augmenté de 39 % entre 2005 et 2018. Et selon l’organisation internationale de l’aviation civile – une entité de l’ONU qui régit le transport aérien – ces émissions pourraient augmenter de 300 à 700 % d’ici 2050 si rien n’est entrepris pour réguler le secteur.
Face à ces chiffres, l’industrie – et avec elle l’État – semble vouloir se murer dans le déni, et se défendre à coups de vœux pieux. Ainsi les défenseurs de l’aérien promettent-ils que leur activité sera neutre en carbone à l’horizon 2050, ou encore qu’ils travaillent à l’élaboration d’un avion parfaitement propre, grâce à l’utilisation de biocarburants, d’électricité ou d’hydrogène. Comme il vaut mieux en rire qu’en pleurer, suivons le chroniqueur et humoriste Guillaume Meurice qui s’est rendu au salon du Bourget pour mener l’enquête. Interrogeant le représentant d’une compagnie de jets privés, pour savoir comment ces avions étaient rendus plus écolos, son interlocuteur lui a rétorqué qu’on distribuait désormais des couverts en bois à l’heure du repas. On est sauvés !
NB, Avec Le Monde, La Tribune, France Inter…
1 Les PKETeq mesurent une quantité de transport qui correspond au transport d’une personne sur un kilomètre.