Depuis près de 10 ans, le collectif anarchiste Rouvikonas squatte le K*Vox, un bâtiment appartenant à l’Institut de l’assurance sociale. Ses militantes et militants se battent au quotidien pour en faire un espace de gratuité, de solidarité, de convivialité, d’autogestion, d’organisation et de convergence des luttes sociales au-delà des frontières nationales.
« Rouvikonas : on ne recule pas », annonce une banderole imposante déployée sur le toit du K*Vox. Situé à côté de la place d’Exarcheia, un quartier du centre-ville d’Athènes, ce centre social squatté depuis 2012 est toujours occupé en dépit des intimidations policières, tentatives d’expulsion et procès contre les militant·es. C’est un des rares squats encore debout en Grèce après l’intense vague de répression d’État menée depuis 2019. Exarcheia, haut lieu de la résistance à la dictature des colonels (1967-1974) est depuis longtemps la bête noire des autorités en raison de présence de nombreux militant·es radicaux. Il a été le premier quartier ciblé par le gouvernement de Kyriakos Mitsotakis à son arrivée au pouvoir.
Si vous prononcez le mot « Rouvikonas » en Grèce, vous avez de fortes chances de vous faire des amis ou, au contraire, de susciter des réactions outrées. En effet, le collectif affole régulièrement les médias acquis à la cause du gouvernement.
Ce dernier souhaite placer le Rouvikonas dans la catégorie des « groupes terroristes ».
« L’essentiel est d’agir sinon on meurt »
Le collectif anarchiste, qui comprend une centaine de militant·es, est adepte de l’action directe : actions symboliques ou de destruction matérielle sans effusion de sang. Ces dernières années, il a ciblé des lieux étatiques symbolisant le capitalisme et des entreprises multinationales : le Parlement grec, la résidence du premier ministre, des ambassades, une chaîne de télévision nationale, les bureaux de la Troïka, la Société grecque d’électricité ou encore le bureau de Tirésias où il a détruit les fichiers de surendettés.
Le collectif est aussi impliqué dans l’auto-défense populaire pour contrer l’influence de nazis ou d’autres groupes fascistes.
Clinique autogérée gratuite
Le K*Vox a été pensé par ses occupants comme un espace social ouvert et non comme un squat de logements. Pour autant, il demeure parfois une certaine méfiance chez les habitué·es quand une personne inconnue pénètre dans le squat, suspectée de faire de « l’anarcho-tourisme » ou de travailler pour la police. Des militant·es gardent toujours un œil sur les allées et venues des policiers à l’entrée, qui donne sur une pièce spacieuse, décorée d’une peinture en hommage à la Commune et à la Révolution ukrainienne de 1917, d’affiches antifascistes kurdes, d’un drapeau du mouvement No Tav. En plus des assemblées hebdomadaires, le squat organise des événements (concerts, projections de films, discussions politiques) en soutien aux luttes en Grèce et ailleurs dans le monde. En août 2019, la capitaine de navire Pia Klemp a été invitée pour une discussion publique autour du sauvetage des réfugié.es en Méditerranée.
Dans ce centre social, comme dans tant d’autres en Grèce, on peut s’installer sans forcément consommer. Le café et la bière restent abordables pour les plus précaires. On y retrouve une petite bibliothèque militante où figurent archives, journaux, magazines, tracts et fanzines gratuits ou à prix libre. Un peu plus loin, plongé dans une ambiance rock, un groupe d’habitués habillés en noir discute au bar, dont les recettes servent à payer les frais d’avocat et les cautions des militant·es ou à améliorer le sort des prisonnier·es politiques. Une autre partie du K*Vox est dédiée à la structure de santé autogérée d’Exarcheia, gratuite et ouverte à tout le monde. Cette clinique fonctionne grâce à des professionnel·les de santé bénévoles et aux dons de médicaments collectés en Grèce ou ailleurs en Europe.
Fédérer les luttes de quartiers
Les menaces d’expulsion du K*Vox et l’importance de déployer la solidarité dans différents quartiers ont amené le Rouvikonas à ouvrir un centre social qu’il loue à Kaisairiani. Un quartier qui n’a pas été choisi au hasard : il est connu pour le massacre par les nazis de 200 communistes le 1er mai 1944. Durant le confinement, le collectif s’est mis à cuisiner au squat pour les personnes dans le besoin. Il a aussi pris part aux collectes et aux distributions de produits de première nécessité dans la région d’Athènes (Attique). Dans cet esprit de fédération et d’amplification des initiatives de solidarité, il a contribué à la création début 2020 de la Coordination des groupes et structures de solidarité de l’Attique (SODAA). Son ambition est de bâtir un « réseau national de distribution et de production alimentaire pour répondre à la crise sanitaire et à la pauvreté grâce à la solidarité en acte et à l’autogestion », précise le texte fondateur de cette initiative. La coordination a organisé des convois de solidarité pour les victimes des incendies en août 2021, certain·es militant·es et habitant·es éteignant eux-mêmes les flammes.
Dans l’immédiat, le Rouvikonas et ses soutiens ont remporté une victoire importante. Deux de ses militants, Yorgos Kalaitzidis et Nikos Mataragkas, étaient poursuivis pour le meurtre d’un trafiquant de drogue et risquaient la prison à vie. Ils ont été acquittés à l’unanimité par le jury mixte du tribunal d’Athènes. Les témoins à charge ont finalement nié les faits. Une femme appelée à la barre a même précisé que la police lui avait promis de l’aider dans ses affaires personnelles (poursuites pour trafic de drogue) si elle acceptait de faire un faux témoignage. Pourquoi la police a-t-elle fabriqué des preuves pour accuser des membres du groupe anarchiste ? Qui sont les responsables ? Les regards se tournent notamment vers le Premier ministre Mitsotakis, qui avait promis d’en finir « par tous les moyens » avec « les anarchistes d’Exarcheia ».
Nicolas Richen, correspondant à Athènes