À la place de la bagnole individuelle, du périph’ et des kilomètres de bouchons qui font la fierté de nos belles métropoles polluées, l’idée des remontées mécaniques urbaines est sur les rails. Une initiative qui pourrait collectiviser le transport et le rendre plus convivial. Mais aussi engraisser des entreprises qui ont le monopole en la matière.
Plus besoin de neige, on a déjà trouvé une seconde vie aux téléphériques des stations de ski ! Au lieu d’entasser des riches dans des œufs pour aller skier dans la montagne, les remontées mécaniques pourraient servir à désenclaver des quartiers mal desservis en ville par les transports en commun et émanciper les banlieusards de la bagnole pour aller au boulot.
Au départ, les téléphériques urbains étaient surtout destinés à des villes avec des rues tortueuses et beaucoup de relief. Comme en Colombie, avec le métrocâble de Medellín, long de 9,4 kilomètres. Mais les téléphériques urbains peuvent aussi enjamber une route, une voie ferrée ou un cours d’eau, comme à Brest avec la Penfeld, un fleuve côtier. Chaque année, la télécabine finistérienne transporte 800 000 personnes.
Plus écolo que le métro ?
Victor Locuratolo a fait des études d’architecture et d’urbanisme. Il est aussi dessinateur (voyez donc son dessin ci-dessus). Sous le pseudonyme de Vito, il a abordé dans son dernier livre Utopique ! le sujet des mobilités douces. Pour lui, les remontées mécaniques doivent être utilitaires : destinées à effectuer notamment les déplacements pendulaires – entre le domicile et le travail –, à la différence des installations des stations de ski, avec de gros pylônes plantés en pleine nature. « Lorsque j’habitais à Grenoble et que j’allais encore faire du ski en station, je me suis rendu compte que le téléphérique était complètement aliénant. C’était comme être dans le métro. »
Par contre, le téléphérique pourrait relier la ville et le périurbain, et ainsi dynamiser les villages dortoirs, ces petits bourgs complètement éteints. Également, « ça pourrait aider à autonomiser et revivifier les villages de montagne, lance-t-il. Si on rend les gens moins dépendants à la voiture et à la surconsommation, on va pouvoir changer les habitudes vers plus de convivialité, au sens d’Ivan Illich. Il faut que l’on pense les remontées mécaniques urbaines comme des bulles de convivialité avec la possibilité d’y mettre des vélos et de discuter. »
Selon le Gart (Groupement des autorités responsables des transports), un téléphérique peut coûter jusqu’à 4 fois moins cher qu’un tramway, et évite la construction des ponts. Niveau bilan carbone, c’est pas dégueu non plus. Le téléphérique émet 10 grammes de gaz à effet de serre par kilomètre et par passager, alors que le tramway en émet 17, le métro 23 g, le bus 76 g et la voiture 300 grammes. « L’idée, c’est vraiment de partager le transport. »
Collomb pète un câble
Depuis les dernières municipales, de nombreuses métropoles écolos mûrissent des projets de téléphériques urbains. Comme à Lyon, où les liaisons par câble pourraient relier les quartiers de Confluence et Gerland avec Francheville, au sud-ouest de la ville. Les cabines d’une dizaine de places effectueraient une liaison de près de 6 kilomètres en 20 minutes, au lieu de 50 en bagnole. « La télécabine réduirait de 5 000 le nombre de voitures par jour », selon le syndicat de transport Sytral.
Alors, pourquoi pas ? Mais voilà, Gérard Collomb habite en dessous du projet. En juillet dernier, l’ancien maire déchu a menacé d’établir une ZAD pour protester contre le projet, à cause des nuisances sonores ! Il existe aussi d’autres détracteurs qui arguent que le téléphérique est tout simplement… moche. Et que l’on ne peut pas se permettre d’effrayer les touristes. « À mon sens, c’est l’utilité, l’usage social, qui fait l’esthétique, analyse Victor Locuratolo. Parce que c’est quand même beau de voir des gens utiliser le téléphérique au lieu de la voiture. Par contre, si c’est juste un coup marketing qui ne marche pas les trois quarts de l’année, j’ai du mal à y voir du beau. »
Le vélo tué dans l’œuf ?
À Créteil, Lille, Toulouse ou à La Réunion… Les métropoles insistent sur ce point : le téléphérique urbain ne remplacera aucun moyen de transport. Il risque donc de ne pas réduire nos déplacements motorisés. Pire, contre les incivilités dans les cabines, les caméras de surveillance feraient allègrement partie du paysage. « On peut aussi douter de l’utilité réelle de téléphériques dans des métropoles plates et regroupées. Ne serait-il pas plus pertinent de mettre le paquet sur des aménagements piétonniers et cyclables ? », s’interroge-t-il.
Toutes ces installations pourraient bien faire les choux gras de certaines entreprises comme Doppelmayr ou Poma, le leader mondial basé en Haute-Savoie. Le problème, c’est que Poma a aussi les mains sales. L’entreprise aux 280 millions d’euros de chiffre d’affaires annuel s’est aussi engagée à construire le funiculaire pour descendre les déchets radioactifs de Bure. « Il y a une mode pour ce genre de projets, mais il faut être prudent, poursuit Victor Locuratolo. Si on lance 50 remontées mécaniques dans chaque ville, simplement pour accélérer les flux et toujours aller plus vite, là je ne suis pas d’accord. Ce qu’il faut, c’est repenser le territoire en y incluant la notion de parcimonie. Et surtout, ralentir. »
Clément Villaume