La loi Sécurité globale actuellement débattue par les parlementaires permettrait, si elle est adoptée en l’état, de faire un grand bond en avant vers une surveillance de masse généralisée. Au cœur de ce dispositif, l’utilisation de la reconnaissance faciale. Bastien Le Querrec, juriste bénévole au sein de l’association La Quadrature du net, nous aide à y voir clair.
L’âge de faire : De nombreuses manifestations ont été organisées contre la loi Sécurité globale, qui suscite un rejet important. Mais le gouvernement reste inflexible. Pourquoi ?
Bastien Le Querrec : L’objectif global de cette loi, c’est de donner plus de pouvoir à la police. Le gouvernement cherche notamment à rendre légales certaines pratiques policières qui ne le sont pas aujourd’hui. Je pense par exemple à l’accès pour la police aux images de certaines caméras de vidéosurveillance installées dans des lieux privés, ou encore à l’utilisation de drones pour faire de la surveillance de manifestations. À La Quadrature du Net, nous avons montré que cette pratique était illégale au regard de la législation actuelle. Donc, le gouvernement était obligé de changer la législation pour pouvoir le faire.
Gérald Darmanin en a la possibilité, avec un Sénat à droite et une Assemblée nationale qui est une chambre d’enregistrement. De plus, l’élection présidentielle approche et la stratégie de Macron consiste à chasser sur les terres de l’extrême droite et à faire de la sécurité l’un des thèmes de la campagne.
Parallèlement à ce contexte politique, on a tout le développement des nouvelles technologies. Parce que finalement, tout ce que cherche à autoriser la loi est rendu possible par la technologie. Elle permet de mettre en place une surveillance généralisée, et à moindre coût. Concrètement, c’est la différence entre un hélicoptère de surveillance et un drone : un drone coûte évidemment beaucoup moins cher ! À budget constant, on peut donc avoir beaucoup plus de surveillance, à condition que ce soit autorisé par la loi.
Cette surveillance généralisée autoriserait-elle aussi la reconnaissance faciale ?
On peut estimer que la reconnaissance faciale, en France, remonte au début des années 2010, avec la création du fichier de Traitement des antécédents judiciaires (TAJ). Le TAJ est un fichier de police qui contient l’identité des personnes mises en cause dans une procédure, que ce soit les victimes ou les accusés. Il contient énormément d’informations personnelles, dont des photos, plusieurs dizaines de millions, et autorise explicitement qu’elles soient utilisées pour de la reconnaissance faciale. Donc la pratique existe déjà, mais elle pourrait prendre une toute autre ampleur.
Déjà, parce que le projet de loi permet de filmer beaucoup plus et avec des finalités beaucoup plus larges. Les drones, par exemple : ils ne seraient pas uniquement utilisés pour la surveillance de manifestations. La moindre opération de police pourrait permettre d’en déployer . Or ils sont équipés de caméras qui ont des possibilités technologiques beaucoup plus importantes que les caméras fixes qui ont été installées au début des années 2000.
Même si la reconnaissance faciale sur les images de drones a été explicitement interdite par les sénateurs lors de l’examen du texte, leurs capacités techniques restent très importantes. Et cette reconnaissance faciale reste autorisée sur les images de caméras-piétons. De même, la technologie n’est plus la même pour utiliser ces images. En France, le premier logiciel utilisé s’appelait Gaspard. Il était globalement assez peu efficace : il fallait que les photos soient prises dans des conditions assez précises (de face, etc.), se basait sur certaines caractéristiques physiques précises (écartement des yeux, forme des oreilles, etc.) et l’appareil faisait remonter plusieurs centaines de profils, qu’il fallait ensuite trier. Du coup, le travail humain restait très important. Aujourd’hui, l’intelligence artificielle permet de faire de la reconnaissance faciale de masse, en direct, avec des taux de certitude très élevés.
Comment résister ?
Politiquement, il faut continuer à maintenir la pression. Plusieurs manifestations ont été organisées par la coordination Stop loi Sécurité globale, qui rassemble plusieurs dizaines d’organisations comme la nôtre. D’autres le seront. Nous allons aussi prévoir d’autres formes de mobilisation, par exemple des séances d’appel téléphoniques aux députés et à leurs collaborateurs. Par ailleurs, vous pouvez soutenir nos associations, qui vont faire des recours juridiques, devant le Conseil constitutionnel, puis si besoin devant les juridictions internationales.
Propos recueillis par Nicolas Bérard