--Article réservé aux abonnés numériques--
L’association Dryade, implantée dans la Drôme, propose aux familles de (re)découvrir par le jeu les différentes dimensions de la forêt. Les participants, de 2 ans à beaucoup plus, sont sensibles à la magie forestière et aux bienfaits de la nature.
Anouk, cheveux au vent, est arrivée la première au point de rendez-vous. Cette jeune maman tente de calmer Léni, 2 ans et 3 mois, un peu grognon : « Ça fait deux nuits qu’il ne dort pas. Il est un peu plus jeune que l’âge escompté, mais il a quand même été accepté. » Anouk est « plutôt curieuse » de découvrir cette journée « Famille des bois », organisée pour la première fois par l’association Dryade. Sophie, accompagnée de Mae, 11 ans, et Méline, 6 ans, est venue pour se « connecter avec la nature », elle qui est « beaucoup devant [s]on ordinateur. » Puis, c’est au tour d’Élodie de rejoindre le groupe, campée de Clémentine et d’Antonin, le « grand frère » bien au chaud sous sa cagoule. Le tintement de la cloche de l’église se mêle aux chants des mésanges et au martèlement d’un pic-vert. Tout en restant suffisamment sauvage, cette forêt, située à proximité du village de Chabrillan, près de Crest (26), est rassurante et hospitalière. Ici et là, des cabanes, des abris et des installations en bois témoignent de sa capacité à accueillir petits et grands. Nous sommes bientôt seize avec Fabien, Chloé, Aurélie, Esteban, Philippe et quelques autres, sans compter Pascale et Emmanuelle, les animatrices… et les trois chiens.
ACQUÉRIR LE REGARD DE LA CHOUETTE !
« On va vous inviter à avancer dans la forêt en pratiquant “Les yeux de la chouette” », lance Emmanuelle. Et de joindre le geste à la parole en plaçant à la verticale ses deux index en parallèle devant son visage. En maintenant le regard, droit devant, elle les éloigne lentement l’un de l’autre en ouvrant les bras et s’arrête lorsqu’elle ne voit plus ses doigts. Cet exercice permet d’évaluer notre vision périphérique. Le jeu de la chouette peut commencer. Des objets ont été posés à droite et à gauche du chemin, le but est d’arriver à les voir sans tourner la tête. « Pas de furetage ! » demande Pascale. La petite troupe progresse en colonne et à pas lents sur le chemin. À l’arrivée, « qui a vu des trucs »? Les enfants, bien sûr. Une brosse à dent – qui s’avère être une brosse à vaisselle – un tupperware orange, une ceinture de robe de chambre, une ficelle bleue, une bouilloire rouge et une bassine blanche !
Assis en cercle, sur de gros rondins, chacun se présente et mime son animal préféré. L’évocation de l’écureuil par Anouk suscite l’admiration générale et le déplacement à quatre pattes d’Emmanuelle fait beaucoup rire le petit Antonin. Pascale propose ensuite au groupe un cercle de gratitude. Ce rituel consiste à remercier les personnes présentes et exprimer de la reconnaissance pour ce qui nous touche. Chacun est libre de prendre la parole ou de s’abstenir. Élodie exprime sa gratitude pour cette sortie « Famille des bois » : « Ce n’est pas évident de sortir seule en forêt avec deux petits enfants. »
CONNAISSANCES NATURALISTES PAR LE JEU
Le froid s’est installé petit à petit. C’est le moment de bouger. Emmanuelle a préparé un petit tableau végétal qui comporte neuf éléments prélevés dans la forêt. Lentement, elle enroule le tapis qui le cachait. Seize paires d’yeux observent le tableau intensément pendant quelques secondes. Elle le cache à nouveau, le dévoile, puis le recouvre. Par famille, le top départ est donné : il faut trouver une feuille morte, deux feuilles de laurier, une branche de fragon petit houx, un morceau d’écorce, une feuille de bambou, une violette et une primevère. Il faut ensuite, de mémoire, placer chaque élément sur le sol pour reproduire avec exactitude le tableau d’Emmanuelle.
« Canapé ! Canapé ! », crie le petit Antonin en sautant de joie. Tout le monde se dirige vers ce mystérieux canapé installé en pleine forêt. On entre dans une sorte d’arène construite en branchettes, branches et rondins. Elle permet de s’asseoir confortablement et de s’adosser à la palissade qui l’entoure et nous protège du vent. Au centre, Pascale a allumé un feu, selon l’art ancestral, avec trois morceaux de bois de tilleul et une ficelle. Après le froid du matin, la chaleur fait un bien fou. On quitte petit à petit les gros pulls. « Chapati maman, chapati ! ». Léni a quitté son air grognon du matin. Jamais rassasié, il engloutit les uns après les autres les pains cuits sur les braises. Mae se réchauffe et se détend. La perspective d’une journée entière en forêt l’avait un peu stressé au départ. Désormais tout va bien. Ce jeune garçon de 11 ans a beaucoup aimé le jeu du tableau, « le truc où il fallait aller chercher des trucs », comme dit Chloé.
DÉCOUVRIR DES ACTIVITÉS EN MODE « SAUVAGE »
Le jeu de l’aigle et des souris fait carton plein. « On apprend beaucoup avec le jeu de cache-cache, explique Pascale. Il faut être silencieux. C’est comme ça qu’on fait avec les animaux. On débute des connaissances naturalistes par le jeu. C’est tellement facile de s’amuser. » Philippe, un grand d’une cinquantaine d’années, n’a pas été le dernier à participer. « Il fallait se rapprocher de plus en plus de l’aigle sans se faire voir. C’est tout bête, mais on se reconnecte à l’enfant. C’est une affaire d’authenticité globale. Je fais souvent des sorties botaniques mais là, c’est orienté famille, c’est plus ludique. Ce qui me plaît, c’est de prendre le temps. Je ne prélève rien. Il n’y a pas de but. Il y a plus de féerie. » Après la tournée de chapatis, Pascale distribue la tisane fumante de fleurs de violettes et primevères. Les grands apprécient de rester dans la chaleur du canapé. Les enfants ont déserté les lieux, préférant gravir les pentes sableuses ou se cacher dans les broussailles. Chloé fait irruption, ravie et toute essoufflée : « En fait, on grimpe », annonce-t-elle à Fabien, son père. « Elle n’était pas trop bien ce matin, mais elle s’est déridée. Je suis venu surtout pour elle, pour lui faire découvrir des activités en mode sauvage. Pour qu’elle s’affranchisse, s’autonomise. À la maison, elle me dit “papa tu me mets sur la branche, papa tu me tiens ?” Quand, je la vois aujourd’hui se débrouiller, je ne regrette pas d’être venu. » Et le papa dans tout ça ? « C’est cool. J’apprécie cette parenthèse et l’opportunité de sortir de ce qu’on connaît. »
« DES GRANDS ENFANTS DE 70 ANS RENCONTRENT DES ENFANTS DE 2 ANS »
Aurélie est venue avec Fabian, son compagnon, et Éloane, son fils. « En tant que maman, il y a beaucoup d’apprentissages autonomes qui peuvent être nourris par le rapport à la nature. Être à l’extérieur permet que des grands enfants de 70 ans rencontrent des enfants de 2 ans. On est rassemblés dans la convivialité. Tout de suite, il y a l’entraide et la bienveillance. » Avant de quitter le canapé, Emmanuelle et Pascale entonnent un petit chant. Elles en ont des tas dans leur besace de forestières qu’elles sèment tout au long de la journée : petits rituels d’accueil, de joie, de remerciement, de départ. Les jeux s’enchaînent : jeu du chef d’orchestre pour aiguiser les capacités d’observation, jeu des ninjas pour la rapidité et la souplesse, jeu du gardien du trésor pour apprendre à se déplacer sans faire le moindre bruit. Le jeu suivant va permettre de brouiller les cartes. Cette fois, on ne joue plus en famille. Chacun et chacune tire au sort un objet qui vous indique quel animal vous êtes. Il faut retrouver les membres de sa famille uniquement par le mime, puis se lancer dans une quête : ramener un élément de la forêt qui comporte des traces d’animaux, et prendre le temps d’écouter deux oiseaux qui se répondent. Antonin, de la famille des loups, montre fièrement à Pascale une feuille de lierre couverte de fientes d’oiseau. Élodie a entendu une tourterelle, Florian a vu des traces d’animaux mais ne sait pas ce que c’est, Esteban sort de sa poche une coquille d’escargot et Pascale montre les gros trous faits par les pic-verts dans les troncs.
Nicole Gellot